dimanche 30 septembre 2012

Critique des Fidélités sur le site "critiques libres.com"



l'homme est duel... et la femme dualité

Fidélités successives.

« Avec le recul du temps, tout paraît aisé et confortablement évident. Mais quand vous vivez l’histoire au jour le jour, quand vous êtes plongé dedans, c’est beaucoup moins simple. » C’est ce que Nicolas d’Estienne d’Orvres tente de nous dire dans cette splendide fresque romancée de la France de la collaboration qui remue beaucoup de choses en nous. On y rencontre des artistes des écrivains qui nous ont charmés : de Cocteau à Picasso en passant par le troublant Brasillach qui fut finalement exécuté lors de l’épuration d’après-guerre malgré une pétition de cinquante écrivains signataires. « Le talent est un titre de responsabilité », faisant de ce talent une circonstance aggravante, car il accroît l'influence de l'écrivain, soutenait de Gaulle dans ses «Mémoires» en évoquant Robert Brasillach.

L’auteur s’est largement documenté sur le Paris occupé, les trafics et le marché noir, sur les collaborateurs, sur le personnage Otto Abetz qui le 8 juillet 1940, à la suite de l'armistice entre la France et l'Allemagne entra dans Paris et travailla à mettre en place la politique de collaboration. En effet, dès l'été 1940 la Liste Otto retire de la vente des ouvrages interdits par la censure allemande, organise l'expropriation des biens appartenant à des familles juives et fait main basse sur les prestigieuses collections d’œuvres d’art. Puis suivront les rafles odieuses du Veldiv’ et toutes les horreurs de l’occupation ou de la déportation. Le jour de la déclaration de guerre, un jeune anglo-normand, Guillaume Berkeley, conquérant naïf de la vie adulte, vient de débarquer à Paris chez Simon Bloch un ami de la famille pour découvrir la vie artistique parisienne et oublier une brouille mortelle avec son frère adoré suite à des ambiguïtés amoureuses avec leur demi-sœur, Pauline. On entre de plain pied dans la fiction car l’île en question ne fait que ressembler à Alderney, Sark ou Guernesey… elle est fictive et se prénomme Malderney. Malédiction? Et le voici, campé dans l’appartement parisien de son mentor, Simon Bloch qui a pris soudain la fuite comme tant de juifs, laissant derrière lui un patrimoine artistique considérable.

Très vite, Guillaume devient un familier d’Otto Abetz, écrit dans l’infâme « Je suis partout » et vit très confortablement. Il côtoie Lucien Rebatet, Céline, Sacha Guitry et une collection de grandes personnalités de l’époque. On sera happé par le récit de sa trajectoire chaotique, par l’honnêteté de ses engagements successifs, par ses doutes continuels. L’auteur se penche sur la vie de ce personnage avec l’intention de comprendre, non de juger pourquoi et comment un jeune-homme préservé par sa famille, destiné à être heureux a peu se jeter dans les maux du siècle.

D’un côté « les putes à boches, de l’autre les bonnes françaises…»? Non, tout ceci serait bien trop simple ! Le romancier campe des personnages et des situations complexes. Il a le don de susciter des renversements, de surprendre, de susciter chez le jeune Guillaume des engagements successifs en toute candeur et fidélité. Il nous raconte aussi une histoire d’amour palpitante et une guerre fratricide dans tous les sens du terme. « Racontez-moi votre vie, Guillaume Berkeley. Et aidez-moi à comprendre comment vous avez pu pousser toute ma famille dans les chambres à gaz…» Le roman, très documenté, très bien construit, est écrit avec talent, et oscille continuellement entre enfer et paradis, noir et blanc, entre collaboration et résistance? Entre histoire privée et guerre mondiale. Guillaume est sans cesse ballotté entre les deux amours de sa vie : Victor et Pauline. « Comme si comprendre était plus important que juger, comme si l’écoute était en définitive le seul remède contre la haine. »

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