dimanche 29 avril 2012

Marine et ses copains (Bien vu, Figaro, 30 avril 2012)

À toute époque de son histoire, l’homme s’est vu réduit à du bétail. Esclave sous l’antiquité, chair à canon durant les guerres, insecte nuisible aux yeux d’idéologies mortifères : l’être humain en a beaucoup bavé. Aujourd’hui que nos sociétés occidentales se croient « civilisées », on a cessé le massacre. Disons que le curseur s’est déplacé et que notre animalité est devenue un objet d’étude et de spectacle. Ainsi, une émission comme « La Belle et ses princes presque charmants » est-elle une observation entomologique élevée au rang de divertissement. Blonde bimbo méridionale, Marine (!) est enfermée dans une maison avec 20 prétendants : 8 chippendales débiles et bronzés, 12 geeks binoclards et câlins. À elle de faire son choix entre l’amour du corps et celui du coeur. D’un côté : des basketteurs peroxydés ; de l’autre : des rouquins rachitiques ou grassouillets. Et Marine de hululer, de dandiner, de roucouler, philosophant à loisir sur les élans du coeur. L’auteur de cette chronique défie quiconque de tenir plus d’un quart d’heure devant un spectacle aussi affligeant. Le téléspectateur a le sentiment de tomber sur une de ces revues médicales pour légistes ou dermatologues, dont les seuls spécialistes peuvent supporter la vision. Jadis, des médecins faisaient des expériences sur des cobayes vivants. Aujourd’hui, ce n’est guère mieux. On jette une faune inepte dans un tube à essai, on agite le tout, et on regarde cette humanité indigne de son nom croupir dans sa bêtise, son inculture et sa laideur. Le naturalisme avait un sens lorsqu’il était transfiguré par l’art. Ici, on contemple la piteuse agonie d’un zoo. La mort annoncée d’une espèce en fin de règne. Atroce.

mardi 24 avril 2012

Le Pavillon des cancéreux (Bien vu, Figaro, 25 avril 2012)


Avec sa mine de croque-mort grivois et ses regards de paillard encravaté, Thierry Beccaro nous annonce dans Télématin une information essentielle : ce printemps, 80,5 % des Français manquent de soleil. Le temps saumâtre qui arrose la France depuis des semaines serait un danger pour la population hexagonale. Perte de la résistance osseuse, dépression, recrudescence des cancers de sein, de la peau : tout y passe ! Il aura fallu attendre docteur Télématin pour comprendre que notre pays est vraiment malade. Les principales victimes de ce mauvais temps ? Les électeurs du Front National. Pas un journal télévisé, pas un édito de radio, qui ne prenne ces  6 millions de votant avec une précision toute médicale. On parle de  « mal français », de « peuple qui souffre ». Ce ne sont pas des votants, ce sont des grands malades. A croire que Marine ne se manipule qu’en charlotte et chambre stérile. Peur de la contagion ? Difficile à dire. Jamais ils ne sont présentés comme des gens sains de corps et d’esprits ayant pris leur bulletin à bras le corps. Non non : ils sont forcément infectés d’un bacille, quelque chose de tourne pas rond, leur équilibre biologique est en péril. Comme le nom de Dieu dans certaines religions, ces créatures étranges incarnent une entité qu’on n’ose nommer, de peur de déchaîner quelque colère. Alors on joue les ellipses, les périphrases. On contourne, on louvoie. Mais les deux candidats ont trop besoin de ces grands malades s’ils ne veulent pas être eux-mêmes condamnés. Aussi dansent-ils du ventre devant l’hôpital, pour séduire les lépreux Comme dirait Beccaro : « c’est pas tout à fait, mais c’est pas tout à fait non plus ». La politique est une science exacte…

dimanche 15 avril 2012

"ça sent la merguez!" (Bien vu, Figaro, lundi 16 avril 2012)

Le journalisme, c’est l’art de faire du plein avec du vide. Il n’est qu’à voir la très artificielle pression entretenue par les médias, dimanche, en amont des meetings de Nicolas Sarkozy et de François Hollande. Compte à rebours pataud, métaphores boursouflées, grandiloquence larvée : tout est bon pour faire monter la tension d’un double événement qui ennuie tout le monde. Les principales victimes de ces symposiums « statiques et festifs » sont surtout les automobilistes parisiens. Depuis l’aube, les sirènes de la télévision brament l’alerte d’une « journée noire », commencée sous le signe de l’extase gymnique (le Marathon de Paris) et culminant avec ce bien morne « match du siècle ». Car le sport –dans son acception la plus spectaculaire- est le champ lexical de rigueur, en ce dimanche 15 avril. « Duel à distance » , dit Claire Chazal, sur TF1, « Nicolas Sarkozy et François Hollande s’affrontent à coup de meeting géant » , serine BFMTV, comme si ces rassemblements étaient autant de massues, de tromblons et de sarbacanes. Il faut bien donner du corps à ces pensums, car, quand le muscle est mou, on le rattrape à la gonflette. Et les correspondants télévisuels in situ de nous balancer leurs colonnes de chiffres, façon concours du boeuf gras. De part et d’autre, on se rêve 60 000 militants. Côté Sarko, on plastronne avec 5 écrans géants, 10 TGV et 400 cars. Côté Hollande, on fait le grand écart musical (zouk et guinguette), on souffle des ballons, on allume des barbecues. Les cheveux giflés par le vent de cette journée saumâtre, Apolline de Malherbe (BFMTV) précise combien « ça sent la merguez !» . Chacun le sait : de la politique à la saucisse, il n’y a qu’un pas.

dimanche 8 avril 2012

La rhétorique mène à tout (Bien vu, Figaro, lundi 9 avril 2012)

« C’est se départir de son rôle de citoyen que de voter ».Badaboum ! Voici comment Marc, « vingtenaire » poupin tout de gris vêtu, résume son anti-engagement au micro de France-Inter.fr Accroupi devant une table basse du Pantalon, bar intello-branchouille du quartier latin, Marc explique pourquoi il n’ira pas aux urnes. A rebours des institutions en place, il préfère accorder sa confiance aux systèmes associatifs. Ses petits camarades de table (même âge, mêmes pulls gris, même ton dégagé et timidement auto-satisfait) partagent les mêmes anti-convictions. « Je suis abstentionniste parce que le système est aberrant », confie l’un des convives, préférant élire directement un président du conseil et avoir un œil sur ses choix ministériels. Pour tous ces jeunes gens, l’acte politique n’est pas le fait d’aller voter, mais celui d’être inscrits sur les listes électorales. Lorsqu’on leur rappelle qu’il reste de nombreux pays au monde où des martyrs meurent pour le droit de vote, ils rétorquent benoîtement « ça fait partie de la démocratie que de refuser d’y participer ». La rhétorique mène à tout, on le voit. Les trois gommeux assument fort bien ce statut de pestiféré que leur accole les médias, aimant même jouer le rôle du « chevalier noir ». En attendant, nos chevaliers de bar-tabac ont des propositions de scrutins assez fantasques et joyeusement médiévales : « moi je propose le roulement ou le tirage au sort », dit l’un d’eux, la bouche en cœur. Son voisin, plus honnête, confie pour sa part : « je n’en sais rien, mais c’est une bonne base de pensée, non ? »

Vaut peut-être mieux qu’ils restent à la maison, en fait.


dimanche 1 avril 2012

Tout sur le Poutou (Bien vu, Figaro, 2 avril 2012)

La poésie se porte mal. Elle ne fait plus recette. Et s’il fallait la chercher ailleurs ? Une heure de télévision avec Philippe Poutou est un moment de vraie poésie. Oh, pas d’alexandrin, chez l’ami Poutou ; encore moins de métrique. Plutôt une espèce d’innocence brute, pas toujours dupe d’elle-même mais étonnamment sympathique. Il a du charme, l’ouvrier de chez Ford. Moins tête-à-claque que son prédécesseur Besancenot au N.P.A., moins rhéteur aussi, il en est le clone blanc, le double épuré. Il y a du Parsifal, chez Poutou : le chaste fol découvre le monde avec une joie écarquillée et des rêves de suffragettes. Le visage lumineux, le cheveu en pétard, la joue pileuse, il veut tout foutre en l’air. Supprimer la Présidence de la République, interdire le licenciement, exproprier les banques… Il ne semble pas mettre en doute la réussite de son programme. «ça marchera comme ça, parce que du pognon : il y en a ! ». Il rappelle ces adolescents échevelés qui croient découvrir l’amour tristanien quand une belle leur a accordé un premier baiser. Tout lui semble possible, puisque rien n’est plus absolu qu’un rêve. Demandez-lui d’approfondir, d’expliquer ses méthodes, ses vues économiques : « ça veut pas dire que c’est simple », « je suis pas assez pointu pour ça », « il faudra qu’on discute ». Discuter de qui ? De quoi ? On ne sait pas trop mais ce n’est pas grave, car le sourire de Poutou crucifiera le Mur de Fédérés, ressuscitera les espoirs de 36. Et si quelques têtes tombent au passage (« les enfoirés de patron ») ce ne seront que les poux dans la tête du lion. Car l’avenir va rugir, l’avenir va rougir : ensanglanté d’espoir, éviscéré de liberté. Gare à la hache !