dimanche 11 mars 2012

Ecrire, c'est quoi au juste? (Bien vu, Figaro, 10 mars 2012)

Rien n’est plus impalpable que l’écriture. Rien n’est plus rétif à l’image que les mots. Rien n’est moins télégénique qu’un écrivain au travail. Un peintre, un musicien, un cinéaste, ça gigote, ça bouscule, comme un danseur. L’écrivain reste vissé à son cahier (ou son clavier) comme le pêcheur à la rive. Et si les flots sont poissonneux, nul ne le remarque, car les écrivains sont gens de silence. Percer le mystère d’un travail littéraire est le but de ce numéro d’« Empreintes », consacré à Philippe Djian. On y voit le parcours d’un homme entièrement dédié à deux causes : sa famille et ses livres. À rebours de tous les auteurs engagés, chouchous des médias, Djian entend être un véritable miroir de son temps, puisque c’est sa langue elle-même (et non ses idées, forcément périssables) qui doit refléter le réel. Cette tâche, il s’y est attelé voici plus de quarante ans, avec une obstination de stylite et une rage de styliste. Qu’on aime ou non Philippe Djian, peu importe. Son discours et son trajet forcent le respect, car ils sont une école d’honnêteté et d’humilité. Pas de melon chez ce mauvais garçon élégant, qui portait contre son sein le monologue de Molly Bloom recopié à la main, comme un talisman. Pas de fausse pudeur chez ce célinien décomplexé, qui place la littérature au-dessus de la vie. Joli moment : ce café pris avec Béatrice Dalle. Un quart de siècle après 37°2, le romancier et son héroïne ne s’étaient jamais rencontrés. En quelques minutes deux regards se croisent, les années se désagrègent, fictions et réalités se confondent et l’on rentre dans le seul temps qui vaille la peine d’être vécu : celui des mots.

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