dimanche 27 novembre 2011

Freaks ou voyous? (Bien vu, Figaro, 28 novembre 2011)

Cet automne, l’infirme a bonne presse. Il n’y en a même que pour lui, vu le succès éclair du film Intouchables. La minisérie de France 2 Vestiaires danse sur le fil du même rasoir. Chaque épisode de deux minutes se déroule dans les vestiaires d’une piscine qui semble réservée à des handicapés. Comme au marché de Brive-la-gaillarde, on y trouve un peu de tout : des grands brûlés, des sourdsmuets, des poliomyélites, des attardés, des amnésiques, des mutilés, des paralytiques, etc. Tous bavardent joyeusement sur le banc du vestiaire, en essorant leur maillot. Et chacun parle de «son» handicap avec une ironie décomplexée et assez revigorante. Il n’y a ici ni grattouillage politiquement incorrect ni compassion coupable. On est dans la tranche de vie – plus ou moins réussie - d’un groupe d’infirmes qui blaguent entre eux. Et la grande force de ces personnages est d’être jouée par de véritables handicapés, sans aucune espèce de voyeurisme. Sans remonter à Tod Browning, le réalisateur de Freaks (faut pas pousser, quand même), il est rare d’aborder le sujet avec autant de décontraction. Certains épisodes sont carrément drôles : évoquant leur tare, deux personnages font le calcul de leurs subventions : « Tu touches combien pour ton bras de pingouin ? » « Moins que pour ta jambe morte ! » Dans l’épisode de samedi, intitulé HandyAcademy, un personnage rêve d’une «Star Ac» pour estropiés. Il imagine des programmes du même tonneau : une émission culinaire ? Handy aux jambons. Culturelle ? Handy Warhol. Dessin animé ? Au pays de Handy. Une émission de variété ? Vivement Di-manchot. Un jeu ? Question pour un moignon… Désolé, mais c’est vraiment poilant !

lundi 21 novembre 2011

Articulez, s'il vous plait! (Bien vu, Figaro, 21 novembre 2011)

Michel Leeb est comme le veau d’or : toujours debout. S’il n’officie plus, comme dans les années 1980, dans les rangs xéno-comiques, son esprit semble planer sur l’émission « Cousinades ». Car ici, tout est question d’accents. Aigus, graves ou circonflexes, ceux-ci donnent le ton de cette soirée qui propose des émissions venues des quatre coins de la francophonie, avec pour liant le toujours distingué Alex Taylor. Premier acte : « Le sexe autour du monde », série de documentaires québécois dressant le tableau des pratiques sexuelles sur tous les continents. En 52 minutes et avec l’accent de Céline Dion, le fringant Philippe Desrosiers s’enfonce dans le sexe « débridé » (c’est de lui) de la Chine. Hypermarchés d’olisbos, musée des tortures vaginales, immersion dans le gay Pékin, il y en a pour toutes les bourses. On gardera une tendresse pour ce restaurant qui ne sert que des… organes génitaux. Pénis de cheval, d’agneau, de bison, de chien ; testicules de boeuf ; vin au sexe de cerf : les amateurs d’abats en auront pour leur fantasme. Verdict de l’animateur, après consommation : « À tous mes amis gays qui m’ont dit “tant que t’as pas essayé, tu ne peux pas dire que t’aimes pas ça”… ben j’aime pas ça ! » Après de tels vertiges génitaux, l’émission belge « Tout ça ne nous rendra pas le Congo » paraît longue et terne. Comme pour « Strip-tease », on s’immerge dans une vie. Ici, une « Femme du monde désespérée », Chantal, grande bourgeoise belge d’une sidérante vacuité. Dîner de charité, ski à Courchevel, serial shopping, prix de Diane à Chantilly, voici le grand chelem de la vanité mondaine. C’est « Gossip girl » version quinqua bruxelloise, sans le glamour new-yorkais mais avec l’accent de Léon Degrelle. Saumâtre !

mercredi 9 novembre 2011

Tete de tueur ("Bien vu", Figaro, 7 novembre 2011)

« Allez savoir qui est le coupable, ils se ressemblent tous ! », grommelait Robert Dalban dans les rues de Hongkong. Cette remarque du Monocle rit jaune résume à merveille l’émission «Faites entrer l’accusé ». Ici, on fait l’archéologie d’un fait divers jugé et classé. Dans l’affaire d’hier soir : un crime atroce. En Provence, une mère et sa fille sont séquestrées, torturées, égorgées et finalement carbonisées. Le genre d’anecdote dont on lit les grandes lignes en une de Détective, et que ce reportage nous livre sur un plateau d’argent, à l’heure du dernier verre (22 h 50). On en suit toutefois l’enquête avec une gourmandise un peu lasse, une curiosité morne. Car l’ensemble a beau être dramatisé à l’extrême (effets de lumière ; musique de film X des années 1980 ; policiers, magistrats et témoins interviewés dans des éclairages tamisés), on retombe toujours sur la même constatation : rien de plus banal qu’un crime. N’était l’horreur de l’affaire, c’est bien la banalité que dépeint cette émission. Banalité des personnages, des lieux, des visages, des propos. Massacre à la tronçonneuse s’invite chez Jean-pierre Pernaud. « Quand on balade un chien, on n’a pas grandchose à faire », remarque une voisine des victimes, pomponnée et frétillante de ce quart d’heure de célébrité. Puis, tout à coup, apparaît l’avocat de l’assassin: maître Guillaume de Palma. Et là, on est enfin au spectacle : gominé, un costume à rayures tennis, une carrure de docker, un accent d’entraîneur de foot marseillais, des foucades de molosse, des grâces de mafieux. Avec lui, plus besoin d’effets visuels. Toute l’émission prend son sens et son sel. On rêvait d’une gueule d’assassin, d’une vraie tronche de coupable : la voilà enfin. Vive le barreau !

dimanche 6 novembre 2011

4e de couverture de "l'enfant du premier matin" et interview de l'auteur (c'est à dire moi, en fait...)



quatrième de couverture du roman


Ils sont tous nés le 11 septembre 2001.

Il ne leur reste guère plus d’un an à vivre.

Ils parlent tous une langue oubliée.
Leur sort est lié au Grand Secret, un secret terrifiant qui remonte à l’aube du monde.

Et seul un enfant du premier matin, un enfant du renouveau pourra lever cette malédiction…

Seul un enfant du premier matin pourra mettre fin au Grand Secret…


Valentin serait un enfant comme les autres s’il n’était hanté par de ter­ri­bles cau­che­mars. Parfois même, pré­mo­ni­toi­res. Depuis la mort de son père, les nuits du petit garçon sont deve­nues un enfer. Valentin est atteint d’un rare syn­drome, qui semble n’affec­ter que les enfants nés le 11 sep­tem­bre 2001. Dernière lueur d’espoir pour Lucie, sa mère : une cli­ni­que spé­cia­li­sée amé­ri­caine. Mais là-bas, dans le Wisconsin, les mys­tè­res se suc­cè­dent : pour­quoi Valentin semble-t-il déjà connaî­tre les autres petits mala­des ? Pourquoi par­lent-ils entre eux une langue oubliée de tous ?... Avec la dis­pa­ri­tion des enfants, les pièces d’un effrayant puzzle se met­tent en place. Le Grand Secret va-t-il enfin être dévoilé ? Valentin serait-il celui qui peut lever, après des mil­lé­nai­res, une anti­que malé­dic­tion ?


De la Provence au Vatican, des enchan­te­ments de Brocéliande aux énigmes de Nazca, un époustouflant thril­ler ini­tia­ti­que où l’auteur des Derniers jours de Paris mêle avec son talent habi­tuel fan­tas­ti­que, occultisme et grands mythes fon­da­teurs de l’huma­nité.

Nicolas d’Estienne d’Orves a 37 ans. Journaliste et écrivain, il est notam­ment l’auteur des Derniers jours de Paris et des Orphelins du Mal, vendu à plus de 200 000 exem­plai­res dans le monde.



INTERVIEW

L’Enfant du premier matin est un thriller teinté d’ésotérisme, sur fond de grands mystères de l’humanité et de civilisations perdues. Comment vous est venue l’idée de ce livre, pour le moins originale ?

Chaque thriller que j’ai fait chez XO est marqué par un thème fort, que je puise en général parmi mes propres obsessions (ou fascinations). Les Orphelins du Mal exploraient les mystères de la seconde guerre mondiale, une période qui fait partie de mon code génétique puisque je porte le nom d’un des pionniers de la Résistance. Les Derniers Jours de Paris m’ont permis d’aborder l’histoire et les zones d’ombres d’une ville qui ne cesse de me fasciner, et sur laquelle je m’étais toujours promis d’écrire une sorte de « fresque catastrophe ». Avec L’enfant du premier matin, j’aborde une de mes passions les plus intimes (et secrètes !) : l’ésotérisme. Je suis tombé dedans au milieu de l’adolescence, en lisant Le Pendule de Foucault, d’Umberto Eco, et Le Matin des Magiciens, de Pauwels et Bergier. En me passionnant pour l’Alchimie, les rose-croix, les templiers, les cathares, l’Atlantide, jusqu’aux Ovnis, j’ai découvert là un fabuleux vivier romanesque que je m’étais toujours promis d’exploiter un jour. Dont acte, avec ce roman copieux et (j’espère) foisonnant, où l’on voyage dans le monde, dans le temps et dans l’histoire…


La construction de l’intrigue fait voyager le lecteur, à chaque chapitre, dans une époque différente : la fin du XIXe siècle à Paris et sa tour Eiffel toute neuve et 2013. Pourquoi ces périodes en particulier ?

Parce que j’aime les intrigues qui font la navette entre la modernité et le passé, qui créent des ponts, des arches narratives entre des temps que l’on penserait inconciliables. A priori, pas grands rapports entre la vie d’un petit garçon de 13 ans, dans le Carpentras de 2013, et les recherches d’un journaliste de 37 ans, dans le Paris sataniste de 1892… détrompez-vous,

détrompez-vous…

Pourquoi, dans tous vos livres, vos intrigues mêlent-elles l’imaginaire avec des faits réels ou historiques ?


J’aime qu’une intrigue, aussi folle soit-elle, ait un ancrage dans une réalité tangible ; que ce soit la vie et les tracas de tous les jours, ou bien des faits historiques précis. Dans ce roman, on voit la vie quotidienne d’une mère célibataire dans la Provence de 2013. On croise également Gustave Eiffel, Georges Clemenceau, Victorien Sardou… et même Heinrich Himmler ! On partage les angoisses d’une mère qui découvre que son fils de treize ans est atteint d’une maladie orpheline ; on suit les pas d’une sorte de Tintin reporter dans le Paris occultiste de 1892… lequel « Tintin » va être converti par ceux qu’il croyait combattre, et se découvrir une nouvelle vie, qui va l’emmener loin, très loin des salons parisiens. Bref : une maman de 2013 qui cherche son enfant disparu, un célibataire de 1892 en quête d’un amour satanique et envolé, voilà comment je crée des ponts entre les époques, les réalités et les aventures… en tâchant toujours de retomber sur mes pieds !


Vous emmenez le lecteur sur les cinq continents, déroulant votre intrigue dans des lieux chargés de mystère : l’île de Pâques, le mont Agarttha, les pyramides égyptiennes et précolombiennes, même la tour Eiffel ou Ground Zero… Croyez-vous au caractère « magique », en tout cas hors du commun, de ces endroits ?


Je ne suis pas un esprit religieux mais j’ai un rapport assez mystique (voir païen) aux lieux, aux sites. Je suis bien plus touché par une ruine, un vestige, qu’un monument. A Paris, les arènes de Lutèce m’émeuvent bien plus que l’Arc de Triomphe. C’est que j’y sens passer le souffle des âges et surtout celui des croyances. On dit que les cathédrales avaient une architecture tellurique, que certaines demeures dites « philosophales » étaient bâties en fonction de principes alchimiques. Ce sont ces « lieux où soufflent l’esprit » qui parlent au cœur, à l’instinct, aux sens, avant de parler à la raison. Des lieux qui font partie de notre patrimoine inconscient, qui sont des balises dans l’évolution des mystères humains.


Vos personnages sont aux mains d’une puissance qui les dépasse. Le lecteur quitte, en même temps que vos protagonistes, les frontières du réel pour entrer dans l’illusion, le fantasmagorique. Cela vous a-t-il donné plus de liberté dans l’écriture et l’élaboration de votre histoire ?


Pas vraiment. Qu’elles soient réalistes ou fantasmagoriques, concrètes ou oniriques, mes histoires sont toujours très construites. Je ne laisse jamais de place au hasard, car ce sont des structures élaborées au millimètre prêt, comme doit l’être un scénario de film ou de roman feuilleton (ou de série télé, bien sûr : mon grand modèle). Un élément manque et le château s’effondre ; alors que le lecteur doit être pris par une main qui ne le lâchera qu’à la dernière page…


Vous avez publié trois thrillers chez XO, mais aussi des récits plus intimes, des essais sur la musique, sur l’opérette… Vous faites cohabiter le plus naturellement du monde ces genres littéraires, tous très différents ; comment réussissez-vous cet équilibre ?


Je suis un esprit libre, parfois franc-tireur, parfois potache, parfois provocateur, parfois très sérieux, mais toujours dilettante. J’aime jongler entre les styles et les centres d’intérêts (faussement) incompatibles. D’une manière générale, je déteste le cloisonnement des genres, qui est une maladie très française. Dans les pays anglo-saxons, on peut très bien passer d’un genre à un autre sans susciter l’étonnement. En France, pays de spécialistes, l’éclectisme est toujours un peu suspect. Mais je crois juste que le changement de genre, comme de chemise ou de couleur, est chez moi une respiration naturelle. C’est même là que réside mon équilibre. Sans ces grands écarts, je pense que je perdrais pied… et donc toute inspiration !