mardi 20 décembre 2011

Pravda + (Bien vu, Figaro, 20/12/2011)

Certaines personnes vieillissent mal. Les rides les rendent amères, obtuses et sentencieuses. Les premières « saisons », « L’année du zapping » était un rendez-vous jubilatoire de fin décembre. En quelques heures, on découvrait l’herbier cinglant de douze mois de télévision. Tout y passait : politique, culture, jeux, docs, info… Une moulinette d’autant plus implacable qu’elle n’obéissait à aucune structure scénarisée, mais proposait un enchaînement aléatoire. Une revigorante roulette russe. Puis, avec le temps, le curseur s’est déplacé. Le démon des idées s’est emparé des herboristes, qui nous offrent désormais un décryptage biaisé (quoique toujours remarquablement bien troussé) de l’année qui s’achève. Ce qui décapait joyeusement le bourrage de crâne médiatique est devenu un authentique outil de propagande. Choix des images, montage, sélection des propos, des intervenants : le panel anarchique a viré au stalinisme bon teint. Ici, on brocarde la bande du Fouquet’s, la cruauté des puissants, le nucléaire, le grand capital. Le « Zapping » casse du riche : ça fait chic. Si DSK en prend pour son grade, les canons sont braqués sur l’autre rive. De Marine à Sarko, c’est un festival de petites phrases douteuses, présentées comme autant de sentences ambiguës. En face ? RAS. Montebourg, Mélenchon, Besancenot figurent parmi les sages et tirent la morale, faisant écho aux barrissements des Indignés et autres yoyotages hesseliens. Bref, le « Zapping » ne recense pas l’année : il la relit, la recoud, la révise. L’esprit Canal a grise mine : le matraquage a remplacé l’insolence, et l’image cryptée sent sa Pravda. Le « Zapping » frappé de sénilité ? C’est triste, mais la vieillesse est cruelle. Il n’y a parfois qu’une issue : débrancher.

mardi 13 décembre 2011

Massenet en grandes notes (Figaro, 13 décembre 2011)

Pour reprendre un chardonnisme consacré, « Massenet c’est beaucoup plus que Massenet » . Toutefois, que sait-on aujourd’hui de Jules Massenet (1842-1912) ? Tout juste connaît-on une poignée de succès incontestables ( Manon, Werther, Thaïs), quelques anecdotes bien senties et peu glorieuses (rapportées par ses détracteurs, tel Léon Daudet) et beaucoup d’idées préconçues. Peu de compositeurs ont à ce point pâti de leur succès, comme si la postérité, vacharde, s’était vengée sur un artiste tant fêté de son vivant.
Compositeur quasi officiel de la jeune IIIE république, il fut une star, une vraie. Couvert d’honneurs, de gloires, de médailles, de couronnes. De femmes, surtout, qu’il savait si bien charmer et à qui, de Manon à Hérodiade en passant par Thaïs ou Esclarmonde, il confiait des rôles enjôleurs. Certes, Massenet n’a jamais cherché à révolutionner son art. Ses opéras sont contemporains de Parsifal, d’otello, de Falstaff, de Tosca, de Salomé, d’elektra, de Pelléas ; de même, il meurt un an après Petrouchka de Stravinsky et l’année du Pierrot lunaire de Schönberg, mais reste l’héritier de Gounod et de Thomas. Et alors ? Massenet est un suiveur, un continuateur. Un grand professionnel du théâtre, aussi, mais qui ne s’est jamais reposé sur un simple métier et quelques recettes : si tel était le cas, personne ne pleurerait aujourd’hui à la mort de Werther ou aux sanglots de Manon.
C’est que Massenet savait émouvoir, incontestablement. On voudrait réduire son succès aux charmes datés d’un Paul Bourget, mais plus personne ne lit Le Disciple alors que Massenet fait partie des incontournables. On voudrait également le limiter à l’exotisme systématique d’un Pierre Loti, mais Thaïs émeut encore quand nul ne lit plus guère Pêcheurs d’islande. La grande force de Massenet fut de parler au coeur, voilà tout : sa musique est simple, jamais simpliste. Quel mal y a-t-il à être séduisant, voir séducteur ? C’est pourquoi on n’en finit pas de redécouvrir ses oeuvres, comme sa Cendrillon (1899). S’il n’est pas le chef d’oeuvre de Jules Massenet, cet opéra-conte de fée est une exquise bonbonnière musicale qui doit être montée comme telle. C’est bien ainsi que l’a compris Laurent Pelly, dans cette délicieuse production, rôdée à Santa Fe puis à Londres, et que nous découvrons aujourd’hui à la Monnaie de Bruxelles. Comme toujours chez Pelly, on oscille entre la poésie et la farce, le lyrisme et la parodie. Son spectacle est une boîte au trésor, riches en surprise et clin d’oeil, qui ne cherche jamais à donner plus de sens à une oeuvre n’en ayant guère. Le chef Alain Altinoglu dirige cette musique avec sûreté, maintenant l’équilibre complexe entre la délicatesse et le comique. Mais ce spectacle n’aurait été aussi réussi sans une Cendrillon de tout premier plan. La soprano Anne-catherine Gillet prouve une fois de plus qu’elle est à l’aise dans tous les registres dramatiques, et que sa voix a atteint une plénitude et une souplesse qui lui permettront d’aborder de nombreux rôle (on veut l’entendre dans Manon !).
Lyrique, sensible, piquante, touchante, elle fait montre d’une vaste palette théâtrale soutenue par une technique vocale décidément impeccable. Et puis elle a ce charme naturel, presque rustique, qui fait d’elle l’une des chanteuses les plus attachantes de la scène musicale actuelle (on ne peut que recommander son excellent récital Berlioz-barber-britten, chez Aeon). A côté de cette Cendrillon idéale, le reste de la distribution ne démérite pas : gouleyante Madame de la Haltière de Nora Gubish ; émouvant père de Lionel Lhote ; touchant prince charmant de Sophie Marilley. Bref : une féerie où Jules Massenet aurait sans conteste retrouvé ses petits.






« Cendrillon », La Monnaie de Bruxelles, du 13 au 29 décembre. www.lamonnaie.be

dimanche 11 décembre 2011

"Elle" est bien aimable avec moi (9 décembre 2011)



Droopy au calvaire (Bien vu, Figaro, 12 décembre 2011)

C’est dur la politique ; ça fait mal à l’âme. Pas de tendresse, pas de fidélité, pas d’amitiés. Des coups bas et de la manipulation. Un univers où l’on fusille, de préférence dans le dos. Voilà d’ailleurs la seule aventure dont Nicolas Hulot ne soit pas ressorti face caméra. Le globe-trotteur d’« Ushuaïa » est arrivé chez Europe Écologie-les Verts comme le ravi de la Crèche déboule à la Gestapo : Hulot en politique, c’est Calimero à Nuremberg. Une expérience traumatisante dont il dresse l’autopsie maussade lors d’un documentaire délibérément tristounet. Allongé sur une chaise de psy, il se fait le médecin légiste de son propre assassinat, revenant sur les grandes lignes d’un naufrage politique qui n’aura pas duré six mois. Armé d’idéaux aussi illusoires que bisounours ( « renouer avec la sincérité en politique » ), l’homme de télévision a vécu un véritable chemin de croix. Il aurait presque des airs du bon Jésus, M. Hulot. Collez-lui une barbe, un béret en ronciers, des clous aux paumes, et notre Vendredi saint sera écologique. Dans le rôle de PoncePilate, Eva Joly est nécessairement parfaite. On la voit crucifier notre messie-du-paf à sa propre inexpérience politicarde. Batracienne pugnace aux lunettes rouge sang, Eva-la-tueuse se fait une Torquemada retorse, un Beria en jupons. « J’étais mis en examen » , dit sans malice Hulot, la mèche triste et l’oeil cocker, en revoyant les dernières confrontations, lors des primaires écologistes. La sincérité, l’abnégation et le sens de l’honneur sont de belles choses, mon Nico ! Mais la politique se combine mal avec l’héroïsme. Elle appelle d’autres outils, comme l’ambition et la matraque. Pour lutter contre les OGM, il faut suer la haine : ce qui est un métier, pas une danseuse.

dimanche 4 décembre 2011

Le panthéon des cruches (Bien Vu, Figaro, 5 décembre 2011)

La bêtise est parfois charmante, touchante à force d’application. Dans le cas des Miss France, on s’enfonce si loin dans l’inanité, si profond dans les catacombes du néant, qu’on reste juste un peu effaré de ce que l’on s’est infligé pendant plus de trois heures. Cette élection est surtout la preuve que des siècles de soi-disant libération de la femme n’ont pas servi à grand-chose, car c’est ici le triomphe de la potiche. Un spectacle à la fois sexiste et « dé-sexué », fondé sur l’attrait physique et paradoxalement dénué de toute sensualité (une émission d’ailleurs regardée en majorité par un public féminin). Très archaïque, tout ça ! Le jury chargé de juger la reine du « char fleuri » rappelle bien une société primitive, ou quelque harde forestière : dans le rôle du vieux mâle, Alain Delon, qui brame et hâble ; à ses côtés, Francis Huster en clergyman précieux et Pascal Obispo en eunuque dégarni ; puis les femmes, grognardes de la beauté plastique : Linda Hardy et la chanteuse Lorie. Enfin, l’incontournable Jean-pierre Foucault, meneur de revue, et l’inquiétante Sylvie Tellier, cyborg au regard mort, qui a remplacé la pétulante Geneviève de Fontenay. Avouons qu’on la regrette, mamie Fontenay. Avec ses bravades de maquerelle, elle annonçait vraiment la couleur : ses pouliches paradaient comme les demoiselles aguichent le client. Aujourd’hui, c’est moins clair. C’est surtout profondément ennuyeux. Miss Alsace (la gagnante) va récolter 90 000 € de maquillage et porter couronne ? Quelle sinécure ! Disons qu’à l’heure du bio et des produits vrais, l’être humain est ici réduit à sa plus simple expression : la viande.

dimanche 27 novembre 2011

Freaks ou voyous? (Bien vu, Figaro, 28 novembre 2011)

Cet automne, l’infirme a bonne presse. Il n’y en a même que pour lui, vu le succès éclair du film Intouchables. La minisérie de France 2 Vestiaires danse sur le fil du même rasoir. Chaque épisode de deux minutes se déroule dans les vestiaires d’une piscine qui semble réservée à des handicapés. Comme au marché de Brive-la-gaillarde, on y trouve un peu de tout : des grands brûlés, des sourdsmuets, des poliomyélites, des attardés, des amnésiques, des mutilés, des paralytiques, etc. Tous bavardent joyeusement sur le banc du vestiaire, en essorant leur maillot. Et chacun parle de «son» handicap avec une ironie décomplexée et assez revigorante. Il n’y a ici ni grattouillage politiquement incorrect ni compassion coupable. On est dans la tranche de vie – plus ou moins réussie - d’un groupe d’infirmes qui blaguent entre eux. Et la grande force de ces personnages est d’être jouée par de véritables handicapés, sans aucune espèce de voyeurisme. Sans remonter à Tod Browning, le réalisateur de Freaks (faut pas pousser, quand même), il est rare d’aborder le sujet avec autant de décontraction. Certains épisodes sont carrément drôles : évoquant leur tare, deux personnages font le calcul de leurs subventions : « Tu touches combien pour ton bras de pingouin ? » « Moins que pour ta jambe morte ! » Dans l’épisode de samedi, intitulé HandyAcademy, un personnage rêve d’une «Star Ac» pour estropiés. Il imagine des programmes du même tonneau : une émission culinaire ? Handy aux jambons. Culturelle ? Handy Warhol. Dessin animé ? Au pays de Handy. Une émission de variété ? Vivement Di-manchot. Un jeu ? Question pour un moignon… Désolé, mais c’est vraiment poilant !

lundi 21 novembre 2011

Articulez, s'il vous plait! (Bien vu, Figaro, 21 novembre 2011)

Michel Leeb est comme le veau d’or : toujours debout. S’il n’officie plus, comme dans les années 1980, dans les rangs xéno-comiques, son esprit semble planer sur l’émission « Cousinades ». Car ici, tout est question d’accents. Aigus, graves ou circonflexes, ceux-ci donnent le ton de cette soirée qui propose des émissions venues des quatre coins de la francophonie, avec pour liant le toujours distingué Alex Taylor. Premier acte : « Le sexe autour du monde », série de documentaires québécois dressant le tableau des pratiques sexuelles sur tous les continents. En 52 minutes et avec l’accent de Céline Dion, le fringant Philippe Desrosiers s’enfonce dans le sexe « débridé » (c’est de lui) de la Chine. Hypermarchés d’olisbos, musée des tortures vaginales, immersion dans le gay Pékin, il y en a pour toutes les bourses. On gardera une tendresse pour ce restaurant qui ne sert que des… organes génitaux. Pénis de cheval, d’agneau, de bison, de chien ; testicules de boeuf ; vin au sexe de cerf : les amateurs d’abats en auront pour leur fantasme. Verdict de l’animateur, après consommation : « À tous mes amis gays qui m’ont dit “tant que t’as pas essayé, tu ne peux pas dire que t’aimes pas ça”… ben j’aime pas ça ! » Après de tels vertiges génitaux, l’émission belge « Tout ça ne nous rendra pas le Congo » paraît longue et terne. Comme pour « Strip-tease », on s’immerge dans une vie. Ici, une « Femme du monde désespérée », Chantal, grande bourgeoise belge d’une sidérante vacuité. Dîner de charité, ski à Courchevel, serial shopping, prix de Diane à Chantilly, voici le grand chelem de la vanité mondaine. C’est « Gossip girl » version quinqua bruxelloise, sans le glamour new-yorkais mais avec l’accent de Léon Degrelle. Saumâtre !

mercredi 9 novembre 2011

Tete de tueur ("Bien vu", Figaro, 7 novembre 2011)

« Allez savoir qui est le coupable, ils se ressemblent tous ! », grommelait Robert Dalban dans les rues de Hongkong. Cette remarque du Monocle rit jaune résume à merveille l’émission «Faites entrer l’accusé ». Ici, on fait l’archéologie d’un fait divers jugé et classé. Dans l’affaire d’hier soir : un crime atroce. En Provence, une mère et sa fille sont séquestrées, torturées, égorgées et finalement carbonisées. Le genre d’anecdote dont on lit les grandes lignes en une de Détective, et que ce reportage nous livre sur un plateau d’argent, à l’heure du dernier verre (22 h 50). On en suit toutefois l’enquête avec une gourmandise un peu lasse, une curiosité morne. Car l’ensemble a beau être dramatisé à l’extrême (effets de lumière ; musique de film X des années 1980 ; policiers, magistrats et témoins interviewés dans des éclairages tamisés), on retombe toujours sur la même constatation : rien de plus banal qu’un crime. N’était l’horreur de l’affaire, c’est bien la banalité que dépeint cette émission. Banalité des personnages, des lieux, des visages, des propos. Massacre à la tronçonneuse s’invite chez Jean-pierre Pernaud. « Quand on balade un chien, on n’a pas grandchose à faire », remarque une voisine des victimes, pomponnée et frétillante de ce quart d’heure de célébrité. Puis, tout à coup, apparaît l’avocat de l’assassin: maître Guillaume de Palma. Et là, on est enfin au spectacle : gominé, un costume à rayures tennis, une carrure de docker, un accent d’entraîneur de foot marseillais, des foucades de molosse, des grâces de mafieux. Avec lui, plus besoin d’effets visuels. Toute l’émission prend son sens et son sel. On rêvait d’une gueule d’assassin, d’une vraie tronche de coupable : la voilà enfin. Vive le barreau !

dimanche 6 novembre 2011

4e de couverture de "l'enfant du premier matin" et interview de l'auteur (c'est à dire moi, en fait...)



quatrième de couverture du roman


Ils sont tous nés le 11 septembre 2001.

Il ne leur reste guère plus d’un an à vivre.

Ils parlent tous une langue oubliée.
Leur sort est lié au Grand Secret, un secret terrifiant qui remonte à l’aube du monde.

Et seul un enfant du premier matin, un enfant du renouveau pourra lever cette malédiction…

Seul un enfant du premier matin pourra mettre fin au Grand Secret…


Valentin serait un enfant comme les autres s’il n’était hanté par de ter­ri­bles cau­che­mars. Parfois même, pré­mo­ni­toi­res. Depuis la mort de son père, les nuits du petit garçon sont deve­nues un enfer. Valentin est atteint d’un rare syn­drome, qui semble n’affec­ter que les enfants nés le 11 sep­tem­bre 2001. Dernière lueur d’espoir pour Lucie, sa mère : une cli­ni­que spé­cia­li­sée amé­ri­caine. Mais là-bas, dans le Wisconsin, les mys­tè­res se suc­cè­dent : pour­quoi Valentin semble-t-il déjà connaî­tre les autres petits mala­des ? Pourquoi par­lent-ils entre eux une langue oubliée de tous ?... Avec la dis­pa­ri­tion des enfants, les pièces d’un effrayant puzzle se met­tent en place. Le Grand Secret va-t-il enfin être dévoilé ? Valentin serait-il celui qui peut lever, après des mil­lé­nai­res, une anti­que malé­dic­tion ?


De la Provence au Vatican, des enchan­te­ments de Brocéliande aux énigmes de Nazca, un époustouflant thril­ler ini­tia­ti­que où l’auteur des Derniers jours de Paris mêle avec son talent habi­tuel fan­tas­ti­que, occultisme et grands mythes fon­da­teurs de l’huma­nité.

Nicolas d’Estienne d’Orves a 37 ans. Journaliste et écrivain, il est notam­ment l’auteur des Derniers jours de Paris et des Orphelins du Mal, vendu à plus de 200 000 exem­plai­res dans le monde.



INTERVIEW

L’Enfant du premier matin est un thriller teinté d’ésotérisme, sur fond de grands mystères de l’humanité et de civilisations perdues. Comment vous est venue l’idée de ce livre, pour le moins originale ?

Chaque thriller que j’ai fait chez XO est marqué par un thème fort, que je puise en général parmi mes propres obsessions (ou fascinations). Les Orphelins du Mal exploraient les mystères de la seconde guerre mondiale, une période qui fait partie de mon code génétique puisque je porte le nom d’un des pionniers de la Résistance. Les Derniers Jours de Paris m’ont permis d’aborder l’histoire et les zones d’ombres d’une ville qui ne cesse de me fasciner, et sur laquelle je m’étais toujours promis d’écrire une sorte de « fresque catastrophe ». Avec L’enfant du premier matin, j’aborde une de mes passions les plus intimes (et secrètes !) : l’ésotérisme. Je suis tombé dedans au milieu de l’adolescence, en lisant Le Pendule de Foucault, d’Umberto Eco, et Le Matin des Magiciens, de Pauwels et Bergier. En me passionnant pour l’Alchimie, les rose-croix, les templiers, les cathares, l’Atlantide, jusqu’aux Ovnis, j’ai découvert là un fabuleux vivier romanesque que je m’étais toujours promis d’exploiter un jour. Dont acte, avec ce roman copieux et (j’espère) foisonnant, où l’on voyage dans le monde, dans le temps et dans l’histoire…


La construction de l’intrigue fait voyager le lecteur, à chaque chapitre, dans une époque différente : la fin du XIXe siècle à Paris et sa tour Eiffel toute neuve et 2013. Pourquoi ces périodes en particulier ?

Parce que j’aime les intrigues qui font la navette entre la modernité et le passé, qui créent des ponts, des arches narratives entre des temps que l’on penserait inconciliables. A priori, pas grands rapports entre la vie d’un petit garçon de 13 ans, dans le Carpentras de 2013, et les recherches d’un journaliste de 37 ans, dans le Paris sataniste de 1892… détrompez-vous,

détrompez-vous…

Pourquoi, dans tous vos livres, vos intrigues mêlent-elles l’imaginaire avec des faits réels ou historiques ?


J’aime qu’une intrigue, aussi folle soit-elle, ait un ancrage dans une réalité tangible ; que ce soit la vie et les tracas de tous les jours, ou bien des faits historiques précis. Dans ce roman, on voit la vie quotidienne d’une mère célibataire dans la Provence de 2013. On croise également Gustave Eiffel, Georges Clemenceau, Victorien Sardou… et même Heinrich Himmler ! On partage les angoisses d’une mère qui découvre que son fils de treize ans est atteint d’une maladie orpheline ; on suit les pas d’une sorte de Tintin reporter dans le Paris occultiste de 1892… lequel « Tintin » va être converti par ceux qu’il croyait combattre, et se découvrir une nouvelle vie, qui va l’emmener loin, très loin des salons parisiens. Bref : une maman de 2013 qui cherche son enfant disparu, un célibataire de 1892 en quête d’un amour satanique et envolé, voilà comment je crée des ponts entre les époques, les réalités et les aventures… en tâchant toujours de retomber sur mes pieds !


Vous emmenez le lecteur sur les cinq continents, déroulant votre intrigue dans des lieux chargés de mystère : l’île de Pâques, le mont Agarttha, les pyramides égyptiennes et précolombiennes, même la tour Eiffel ou Ground Zero… Croyez-vous au caractère « magique », en tout cas hors du commun, de ces endroits ?


Je ne suis pas un esprit religieux mais j’ai un rapport assez mystique (voir païen) aux lieux, aux sites. Je suis bien plus touché par une ruine, un vestige, qu’un monument. A Paris, les arènes de Lutèce m’émeuvent bien plus que l’Arc de Triomphe. C’est que j’y sens passer le souffle des âges et surtout celui des croyances. On dit que les cathédrales avaient une architecture tellurique, que certaines demeures dites « philosophales » étaient bâties en fonction de principes alchimiques. Ce sont ces « lieux où soufflent l’esprit » qui parlent au cœur, à l’instinct, aux sens, avant de parler à la raison. Des lieux qui font partie de notre patrimoine inconscient, qui sont des balises dans l’évolution des mystères humains.


Vos personnages sont aux mains d’une puissance qui les dépasse. Le lecteur quitte, en même temps que vos protagonistes, les frontières du réel pour entrer dans l’illusion, le fantasmagorique. Cela vous a-t-il donné plus de liberté dans l’écriture et l’élaboration de votre histoire ?


Pas vraiment. Qu’elles soient réalistes ou fantasmagoriques, concrètes ou oniriques, mes histoires sont toujours très construites. Je ne laisse jamais de place au hasard, car ce sont des structures élaborées au millimètre prêt, comme doit l’être un scénario de film ou de roman feuilleton (ou de série télé, bien sûr : mon grand modèle). Un élément manque et le château s’effondre ; alors que le lecteur doit être pris par une main qui ne le lâchera qu’à la dernière page…


Vous avez publié trois thrillers chez XO, mais aussi des récits plus intimes, des essais sur la musique, sur l’opérette… Vous faites cohabiter le plus naturellement du monde ces genres littéraires, tous très différents ; comment réussissez-vous cet équilibre ?


Je suis un esprit libre, parfois franc-tireur, parfois potache, parfois provocateur, parfois très sérieux, mais toujours dilettante. J’aime jongler entre les styles et les centres d’intérêts (faussement) incompatibles. D’une manière générale, je déteste le cloisonnement des genres, qui est une maladie très française. Dans les pays anglo-saxons, on peut très bien passer d’un genre à un autre sans susciter l’étonnement. En France, pays de spécialistes, l’éclectisme est toujours un peu suspect. Mais je crois juste que le changement de genre, comme de chemise ou de couleur, est chez moi une respiration naturelle. C’est même là que réside mon équilibre. Sans ces grands écarts, je pense que je perdrais pied… et donc toute inspiration !

mardi 21 juin 2011

La musique a mal au coeur (Figaro, 21 juin 2011)


La version jeune con (publiée)

Les trente ans de la Fête de la Musique ? La belle affaire ! Que célèbre-t-on, au juste ? Trois décennies de gloubi-boulga musical, de salmigondis sonore, de garbure pseudo-mélodique. Lancée à l'été 1981, en plein tsunami rose, cette fête a pris racine dans un pléonasme. En effet, pourquoi fêter ce qui est déjà fête, ce qui est joie, plaisir ? La musique est un art par essence impalpable et volatile, qui exprime l’esprit même de la fête. Lui greffer une grande kermesse républicaine et démagogique ne pouvait rien lui apporter de bien, sinon des rides et quelques verrues. Car si l'on fait le bilan de 30 ans, que reste-t-il ? Pas grand-chose, très franchement. Bien sûr, il y a eu de beaux moments. A l’origine, la fête de la musique avait pour but astucieux, généreux et sincère de décloisonner les genres et de laisser dialoguer des voix à priori opposées. Mais au bout de trente solstices le ressort semble cassé. Sous prétexte d'échange et de métissage tout se noie désormais dans une confusion des styles qui n'aboutit qu'à la grisaille. On ne célèbre pas la musique mais le bœuf gras : c'est à qui prendra le plus de place. Les artistes ne dialogues pas, ils se compilent, se superposent, s’entassent. Nous vivons dans un pays où la vie musicale est suffisamment dense, riche et variée pour ne pas la consommer en pan-bagnat, avec un oeuf à cheval. Trente ans : un anniversaire ? Non : une gueule de bois.


La version vieux con (pour le plaisir)

Les trente ans de la Fête de la Musique ? La belle affaire ! Que célèbre-t-on, au juste ? Trois décennies de gloubi-boulga musical, de salmigondis sonore, de garbure pseudo-mélodique. Lancée à l’été 1981, en plein tsunami rose, cette fête a pris racine sur un pléonasme. En effet, pourquoi fêter ce qui est déjà fête, ce qui est joie, plaisir ? La musique est un art par essence impalpable et volatile, qui exprime l’essence même de la fête. Lui greffer une grande kermesse républicaine et démagogique ne pouvait rien lui apporter de bien, sinon des rides et quelques verrues. Car si l’on fait le bilan de 30 ans, que reste-t-il ? Des décibels à foison, des vitres brisées, des voitures brûlées, des beuglements avinés et ce fumet de merguez qui poisse les vêtements et la mémoire. Bien sûr, il y a eu de beaux moments, mais tout se noie dans une confusion des genres et des styles qui, sous prétextes d’échange et de métissage, n’aboutit qu’à la grisaille. On ne célèbre pas la musique mais le bœuf gras : c’est à qui fera le plus de bruit. Pauvres formations chambristes, égarées dans des venelles, écrasées par une sono voisine, poussée à bloc, à ruiner les tympans. Triste répertoire jazzy, compressé comme au métro, incapable de survivre devant les beuglements du moindre petit excité rockoïde. Enfin, nous vivons dans un pays où la vie musicale est suffisamment dense, riche et variée pour ne pas la consommer en pan-bagnat, avec un œuf à cheval. Trente ans : un anniversaire ? Non : une gueule de bois.

samedi 26 mars 2011

Natalie Dessay et Laurent Naouri se mettent à table (Figaro, 26 mars 2011)


Couple à la ville plus qu'à la scène, la soprano Natalie Dessay et le baryton Laurent Naouri vivent ensemble depuis plus de vingt ans. Ils chantent dimanche un récital en duo à l'Opéra de Versailles, avec de larges extraits d'Hamlet et de La Traviata. On les retrouvera aussi dans Pelléas et Mélisande, au Théâtre des Champs-Élysées, en avril.

LE FIGARO. - Pourquoi avez-vous si peu chanté ensemble ?

Natalie DESSAY. - Parce qu'on ne s'appelle par Roberto et Angela (Alagna et Gheorghiu, NDLR)! (Rires.) Sans plaisanter, parce que nous avons peu de répertoire en commun. Si Laurent avait été ténor, cela aurait été plus simple: le répertoire pour ténor et soprano est si vaste.

Laurent NAOURI. - Nous n'avons jamais beaucoup insisté, parce que ça ne nous semblait pas éthiquement acceptable.

«Éthiquement acceptable»?

N. D. - Nous n'avons jamais voulu imposer aux maisons d'opéra un package, parce que nous n'en sommes pas un. Il faut que le choix vienne spontanément.

Il y avait peut-être aussi la question des enfants?

L. N. - Bien sûr. Jusqu'ici les enfants étaient petits. Il fallait donc alterner les absences. On nous a par exemple proposé Les Contes d'Hoffmann en 2013 à San Francisco, mais je resterai à la maison car notre fils passera alors son bac.

Comment être à la fois nomade et parents?

N. D. - Certains collègues ont toujours emmené leurs enfants avec eux. Nous avons privilégié la stabilité, car nous ne voulions pas les priver de vie sociale en en faisant des enfants de la balle.

Vos enfants aiment-ils la musique?

N. D. - Un peu contre leur gré, disons…

L. N. - On n'a pas non plus cherché à les mettre dedans. Je pense qu'on ne les a pas dégoûtés, on leur a ouvert une porte. Ensuite, il faut que ça soit naturel.

N. D. - Notre fille aime bien chanter… mais c'est plus Lady Gaga!

L. N. - À chacun sa diva…

Dans un couple de chanteurs, comment s'écoute-t-on?

L. N. - Assez bien, je crois. On a des intuitions que les autres ne voient pas. Mais ce sont plus des conseils de chanteur à chanteur que de prof de chant.

N. D. - On se connaît vraiment. Nous savons tous deux que notre chant doit être dominé par le mental. Tout doit toujours être conscient, car le laisser-aller, en terme de chant, c'est la mort!

Jamais de lâcher-prise?

N. D. - Ah si, mais uniquement dans l'émotion!

Y a-t-il des moments où vous aviez le sentiment que vos carrières réciproques vous éloignaient l'un de l'autre?

L. N. - J'ai commencé ma carrière avec un déficit dans l'aigu, donc on pensait que j'étais basse ou baryton basse. J'étais le seul à deviner que j'étais baryton. Avec le travail et les années, ma voix s'est ouverte dans le haut. Nos carrières ne se sont donc pas développées au même rythme. Celle de Natalie a démarré beaucoup plus vite.

N. D. - Mais c'est un déséquilibre que Laurent a très bien géré, alors que c'est une situation qui peut-être plus difficile pour un homme.

Cela engendre-t-il des frustrations?

L. N. - Non. Mais disons qu'il était parfois agaçant d'être considéré en France comme l'éternel Golaud ramiste (interprète de Golaud dans Pelléas, ainsi que des opéras de Rameau, NDLR) avec un petit coup de Contes d'Hoffmann. Il a fallu que j'aille aux États-Unis pour faire vraiment des rôles italiens.

Arrive-t-il que l'un dise à l'autre: «Fais attention, tu prends trop de risque!»

N. D. - Je ne me permettrais pas de le dire, car je suis très respectueuse de la liberté de chacun.

L. N. - Il m'est arrivé de penser: «Ah, là, c'est un risque!», mais je me dois de la soutenir. Disons qu'on s'en parle comme des collègues, mais nous n'avons pas d'emprise absolue l'un sur l'autre. On s'écoute, on se conseille. C'est un échange. On ne s'est pas fait une «charte de communication».

N. D. - L'idée est de supporter l'autre… au sens anglo-saxon du terme.

Quel est le rôle d'opéra que vous préférez pour l'autre?

N. D. - Moi, c'est un rôle dans lequel je ne l'ai pas encore vu: Iago, dans Otello, de Verdi. J'aime les méchants, les bad boys! Il faut être subtil. Je sais que Laurent ferait un traître d'anthologie.

L. N. - Là où Natalie m'a le plus subjugué, c'est dans Lucia di Lamermoor. C'est un rôle qu'elle estampille d'un timbre quasi-indélébile. Je me souviens d'une répétition au Met: il y avait très peu de monde, j'étais dans la salle, j'ai entendu ça et l'émotion m'a pris. Je me suis dit que je ne pourrais jamais entendre personne d'autre dans ce rôle…

Et y a-t-il un rôle où vous n'aimez pas voir l'autre?

N. D. - Une fois de plus, je parle au conditionnel: il y a un rôle dans lequel je ne l'aurais jamais aimé, c'est Pizarro, dans Fidelio, de Beethoven. Je déteste cet opéra!

L. N. - Je n'ai pas de souvenir de quelque chose que je n'aurais pas aimé. En revanche, je suis content qu'elle ait décidé de ne pas chanter Blanche de la Force dans Dialogue des carmélites, à l'automne, à Nice. Pour une question de planning, ça n'aurait pas été raisonnable.

N. D. - C'est vrai. Je m'apprêtais à enchaîner avec Cléopâtre dans le Jules César de Händel.

Quand on chante à deux, comment oublie-t-on la ville pour la scène?

N. D. - On ne se pose même pas la question. Sauf peut-être dans le duo de la mouche d' Orphée aux Enfers (où Laurent Naouri, déguisé en insecte géant, butine Eurydice-Dessay sur un canapé. NDLR). Lorsqu'on a commencé à le répéter en scène, j'ai été gêné pour la première fois de ma vie. Ça m'a semblé presque impudique, parce qu'on était un couple à la ville.

L. N. - C'était genre «Welcome in ourbedroom!»

Vous est-il arrivé de penser à tout arrêter, ensemble?

N. D. - Ah, sûrement pas! Moi, je parle d'arrêter tous les deux jours… et ça fait dix ans que ça dure! Et je rêve d'un haras pour vieux chevaux. Si on arrête tous les deux, qui va le payer?

L. N. - Tu ne veux pas le faire aussi pour vieux ténors?

N. D.- Non, non! Je préfère les chevaux: au moins, ils ne chantent pas!

jeudi 17 mars 2011

Signature NEO



Pour les ceusses que ça intéresse:

je signe

"Je Pars à l'entracte"

au Salon du Livre

le dimanche 20 mars

a 15 h

sur le stand Robert Laffont.

samedi 26 février 2011

Mon nouveau livre sort jeudi prochain...


en voici la couverture et le (très courtois) résumé de l'éditeur:

Amis dès l’enfance, Nicolas (l’expéditeur) et Nicolas (le destinataire) ont formé un duo inséparable durant presque trente ans... Jusqu’à ce que la mort les sépare. Depuis, le silence a englouti une longue conversation à bâtons rompus, celle de deux jeunes potaches adeptes des quatre cents coups, à peine entrés dans l’âge d’homme.
Comment vivre avec la disparition de son double ? Comment exister sans celui qui a été un miroir et une référence ? Comment lui pardonner son départ délibéré ? Lorsqu’un deuil est impossible, toutes les émotions se succèdent dans une sarabande infernale : révolte, affection, colère, jalousie, exaspération, désespoir... En brossant le portrait de celui avec qui il a vécu son parcours initiatique fondateur, l’auteur s’adresse donc à un absent, mais aussi au scandale de cette absence. Surtout, il n’entend pas faire l’éloge d’un lâcheur, sous prétexte qu’il n’est plus là : il s’agit de régler de vieux comptes, de tordre le cou à une ombre trop tenace, d’en finir avec une union qui demeure au-delà de la mort. Impossible de faire revivre celui qui a emporté avec lui tant de mystères et de non-dits, mais le suicide de Nicolas, personnage torturé, poète maudit autoproclamé, est un affront permanent à ceux qui survivent et composent, modestement, avec le réel. Lettre jetée à la mer depuis l’un des plus beaux bateaux du monde, ce texte au style flamboyant et emporté rend hommage à une amitié aussi intense qu’encombrante.
voici également le principe de la collection "Les Affranchis":
Quand tout a été dit sans qu'il soit possible de tourner la page, écrire à l'autre devient la seule issue. Mais passer à l'acte est risqué. Ainsi, après avoirrédigé sa lettre à son père Kafka avait préféré la ranger dans un tiroir. Ecrire une lettre, une seule, c'est s'offrir le point final, s'affranchir d'une vieille histoire. La collection « Les Affranchis » fait donc cette demande à ses auteurs :« Ecrivez la lettre que vous n'avez jamais écrite.»
enfin, dans la même collection, vous trouverez "L'autre fille" d'Annie Ernaux et "Vincennes" de Bruno Tessarech.