mardi 31 août 2010

Villazon côté jardin (Figaro, 30 août 2010)



L'année 2010 marque un tournant pour Rolando Villazon. Après une ­absence d'un an due à des problèmes de santé vocale, le ténor franco-mexicain a fait son grand retour sur les scènes internationales. À l'occasion de la ­sortie de son album «Mexico» (le 6 septembre, chez Deutsche Grammophon), le vibrionnant chanteur accorde au Figaro une interview bilan.


LE FIGARO. - Quelle est la genèse de ce récital consacré à la mélodie populaire mexicaine?

Rolando VILLAZON. - À l'origine, je voulais proposer une anthologie de la chanson mexicaine, de l'époque précolombienne à nos jours. Mais un CD n'est pas un traité d'histoire ; ça doit toucher au cœur. Alors j'ai décidé de chanter les chansons que j'entendais au Mexique lorsque j'étais enfant. Elles font, à vrai dire, bien plus partie de moi que Haendel, Schumann ou d'autres compositeurs découverts durant mes dix ans de carrière lyrique…

Pour ces mélodies populaires, vous avez choisi des orchestrations intimistes…

Je ne voulais pas faire un disque avec un grand orchestre, et encore moins des arrangements pop. Des chansons comme Besame mucho ou Cucurrucucu paloma sont des classiques en soi, au message universel.

Sortir ce disque en 2010 est-il volontaire?

Le 15 septembre, le Mexique fêtera ses 200 ans d'indépendance. C'est une fête joyeuse et bruyante : toutes les cloches sonnent, il y a des feux d'artifice, des mariachis ; le président sort sur son balcon et crie: «Viva Mexico!»; la ­foule répond: «Viva Mexico!! ». C'est une année très symbolique.

Vous sentez-vous des devoirs envers la culture mexicaine?

Ce n'est certainement pas le but du disque. Je cherche avant tout à faire plaisir. Chaque artiste doit se penser comme un cadeau à un inconnu. Il ne faut pas pour autant essayer de plaire au public, ne pas se conformer à une image fausse de soi-même, ne pas se dénaturer, mais rester fidèle à ce qu'on est. Contrairement à un cliché récurrent, nous ne sommes pas des personnages de fiction…

Vous êtes au contraire de chair et d'os, ce qui vous a d'ailleurs contraint à faire une pause pendant un an pour raison de santé ; qu'avez-vous eu?

Un kyste aux cordes vocales. J'ai été soigné par le même ­médecin que la soprane Natalie Dessay. La convalescence a été ­longue, il m'a fallu beaucoup de pa­tience pour ne pas parler pendant des jours, et la voix est revenue. C'est un moment de ma carrière, voilà tout…

Est-ce fréquent chez les chanteurs?

Beaucoup plus qu'on ne le dit. Il y a comme un tabou à ce sujet, mais on devrait en parler plus. Après tout, ce n'est pas un pro­blème de vie ou de mort !

Comment le milieu musical a-t-il réagi à l'annonce de cette pause dans votre carrière ?

Ils ont été très compréhensifs. Contrairement à ce que la presse a voulu laisser entendre, je n'ai subi aucune pression de mon agent ou de ma maison de disques, je n'ai perdu aucun contrat. J'ai même passé une année extraordinaire!
Quand avez-vous su que vous étiez guéri?

Un soir, je suis allé dans la chambre de mes enfants et je leur ai chanté une berceuse. J'ai alors pleuré en me disant: «Ça y est, j'ai réussi»…

Pendant votre convalescence, qu'avez-vous fait?

J'ai énormément lu, dans tous les genres. Par exemple : Contrepoint, de Huxley, des œuvres de Bolano, une histoire de la philosophie occidentale ou encore Nabokov : Feu pâle, quel chef-d'œuvre! Et j'ai même commencé à écrire un roman. C'est l'histoire d'un clown et d'un philosophe. Mais je ne peux pas encore en parler; il est trop tôt.

Pour vous qui avez dans votre jeunesse songé à devenir prêtre, la foi a-t-elle été une béquille durant cette période ?

Disons que pendant un an j'ai lu beaucoup de philosophie analytique et de théologie, ce qui m'a aidé à résoudre quelques doutes existentiels. J'en suis arrivé à une conclusion très simple: qu'il y ait une âme ou non, peu importe, il n'y aura jamais de message clair. Je préfère pencher du côté de l'humanisme et parler du droit humain… Le reste n'est que mythologie.

Et aujourd'hui, que lisez-vous?

Pour mon roman, je me passionne pour la vie des grands clowns. Je lis en ce moment Nous, les Fratellini, après avoir lu la biographie de Grimaldi, de Grock, de Charlie Chaplin… La figure du clown est fantastique en ce qu'elle dit la vérité et questionne notre façon de penser. Le clown nous rend fous, mais il finit toujours par vaincre, car lui seul comprend la logique des situations les plus illogiques. Il est héroïque, inutile et fantastique dans son inutilité même: il reste debout. Le clown se situe entre l'ordre et le chaos, comme la philosophie est entre la théologie et la science, ou la poésie entre le langage et la cacophonie…

Quelle est la leçon à tirer de cette année de pause?

Que l'artiste doit toujours rester inventif et ne pas devenir esclave de son image. Dans mon cas, cela signifie arrêter de lire ce qu'on pense de moi et continuer, que ça plaise ou non. La scène n'est pas un lieu où l'on se cache. Pour rester artiste, il faut prendre des risques, se mettre en danger, faire des folies : c'est la seule façon d'apprendre, de progresser. Lorsque j'ai décidé de chanter les Dichterliebe de Schumann, on m'a dit: «Ce n'est pas pour toi.» Et alors?! Dans la partition, il n'est pas écrit: «réservé à un ténor allemand ou bien à Dietrich Fischer-Dieskau»… C'est justement là que l'artiste doit tenter de trouver autre chose. Je ne suis pas un boy-scout, pas un bon élève. Au contraire: je dois être rebelle à moi-même, à ma propre tranquillité.

Y a-t-il une angoisse à reprendre le chemin de la scène?

Bien entendu. Mais notre métier est fondé sur le trac, et c'est ce qui fait sa beauté : le trac des débuts ; le trac du chanteur confirmé qui ne veut pas décevoir ; le trac d'un retour après une pause… C'est un permanent apprentissage de la vie intérieure… D'une manière générale, j'embrasse tout ce qui m'est arrivé, en bien comme en mal. Je suis content de ma vie, de ses succès comme de ses défaites.

Pour ajouter une corde à votre arc, vous allez maintenant mettre en scène Werther à l'Opéra de Lyon, l'hiver prochain…

Oui, c'est un projet auquel je pense depuis bientôt deux ans. Au cours d'une répétition à Berlin, j'ai avoué que j'avais mes propres idées sur la mort de Werther, que je trouve toujours longue et fastidieuse. On m'a dit: «Pourquoi ne le mettriez-vous pas en scène, un jour?» J'ai plus tard rencontré Serge Dorny, le directeur de l'Opéra de Lyon, qui m'a relancé à ce sujet. Au début, j'avais même pensé mettre en scène et jouer le rôle-titre, mais ça m'a vite semblé impensable, avant tout par respect pour les autres chanteurs…

D'une manière générale, vous aimez décloisonner les genres et les activités…

Parce que j'essaye de briser les fron­tières: je suis un étranger partout et je suis toujours chez moi où je vais.

Mais vous restez avant tout parisien.

Je ne quitterai Paris que pour la tombe!