dimanche 7 mars 2010

Béatrice et Benedict à l'opéra comique



Beatrice et Benedict : entre Shakespeare et Guignol.

Opéra de commande, composé en 1862 par un Berlioz vieillissant et lucide, Beatrice et Benedict n’en est pas moins l’une des œuvres les plus attachantes du musicien. Disons que le père des Troyens s’y est astreint aux règles de l’opéra comique, comme un James Joyce se serait imposé celles du roman policier : un exercice de style où, sous le carcan formel, percent les audaces d’un génie incendiaire.
Car si Beatrice est une variation plus ou moins réussie du Much ado about nothing de Shakespeare, c’est du Berlioz pur jus. Mais un Berlioz dégraissé, d’une liberté de ton confinant à la désinvolture et à la grâce. Raison pour laquelle on reste perplexe devant la lourde volonté du metteur en scène anglais Dan Jemmett de raccorder cette œuvre atypique au théâtre shakespearien. Il a même greffé à l’intrigue un envahissant narrateur, qui se veut le grand marionnettiste de ce jeu de dupes. Certes, la pièce est une histoire de manipulation, mais de là à réduire les personnages à des figurines de guignol aux gestes saccadés, le fossé est trop large. Nul besoin de ces ajouts clownesques, quand Berlioz a lui-même créé Somarone, compositeur bouffon. L’incarnation du vétéran Michel Trempont est d’ailleurs une petite merveille : à 81 ans, le baryton belge donne une vraie leçon de théâtre musical. Il surclasse une distribution au reste plutôt homogène, dominée par le Benedict rayonnant mais un brin léger du ténor Allan Clayton, et la belle Ursule de la contralto Elodie Méchain. Mentionnons également l’excellent chœur de chambre Les Eléments. Dans la fosse, Emmanuel Krivine déborde d’idées. Las, le son de sa « Chambre Philharmonique » est plus à l’aise dans le premier XIXe siècle que dans le Berlioz tardif. A la place de cette verdeur souvent aigre, on rêverait rondeur et onctuosité. Le public le lui a violemment reproché, par des huées bien sottes. Pour Berlioz déjà, Paris était cruel ; rien n’a changé.

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