jeudi 10 décembre 2009

Carmen à la Scala (Figaro, 09/12/2009)




Le 7 décembre à Milan est comme le 4 juillet à la Maison Blanche : un must. En ce jour de la Saint Ambroise, toute l’Italie a le regard braqué sur le théâtre de la Scala, qui inaugure traditionnellement sa saison lyrique. Rues barrées, zones interdites, escouades de policiers, manifestations de tous poils, caméras en pagailles, micros à foisons, paparazzis et simples curieux sont de rigueur. L’espace de quelques heures, Milan vit par et pour l’opéra. Tous les potentats de la botte se retrouvent dans cette sublime salle rouge, blanc et or, Mecque absolu de la musique. Ministres et hommes d’affaires se jaugent le smoking ; Placido Domingo fait un frais à Umberto Eco ; côté français : Jérôme Clément (président d’Arte) bavarde avec Dominique Meyer (directeur du Théâtre des Champs Elysées et bientôt de l’Opéra de Vienne). Un soir comme celui-ci, les places aveugles coûtent cinquante euros ; et celles du parterre grimpent à deux-mille !
Le jeu en vaut-il la chandelle ? Devant la Carmen que le directeur Stéphane Lissner a proposée au public milanais, on peut s’interroger. Disons qu’il est difficile d’apporter du neuf à cet opéra comptant parmi les plus joués au monde.
Malgré les (bien inutiles) huées qu’elle a reçue, la mise en scène sans émotion d’Emma Dante ne bouscule rien ni personne. On ne peut lui reprocher que sa platitude et ses truismes de rigueur : les militaires sont d’odieux soldats franquistes complices du goupillon ; la corrida est présentée comme une sanglante réjouissance. Hors ça, dans les élégants décors antiquo-staliniens de Richard Peduzzi et sous les belles et statiques lumières de Dominique Bruguière, rien de bien neuf.
Sur scène, mieux vaut oublier que l’on écoute un opéra français. Chœurs et solistes pourraient chanter le wolof qu’on en serait aussi avancé. Mais, après tout, nous ne sommes pas à Favart. L’Escamillo d’Erwin Schrott est gueulard et couillu ; à la fois expressif et sans nuances. Des nuances, Adriana Damato en possède, mais sa Micaela reste pâle. Il faut dira qu’à côté de la Carmen d’Anita Rachvelishvili, tout semble terne. A vingt-cinq ans, cette gironde géorgienne possède de la gitane les courbes et l’aplomb. Avec son timbre chaud, pas toujours maîtrisé mais très sensuel, cette jeune femme est redoutablement prometteuse. Son partenaire n’a quant à lui plus rien à prouver : Jonas Kaufmann est un des meilleurs Don José du globe. On est juste déçu qu’une vraie direction d’acteur ne canalise pas le feu de ces deux tempéraments, lesquels se perdent sur la scène.
Dans la fosse, Daniel Barenboïm est égal à lui-même : une direction en dents de scies, hétérogène et contrastée, prosaïque et inattendue. A de vrais moments de poésies (les parties élégiaques ou dramatiques) succédaient des pertes d’inspiration (les scènes pittoresques et spectaculaire). Reste que dans ses murs, l’orchestre de la Scala sonne comme nul autre.

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