vendredi 6 novembre 2009

L'Etoile à Genève (Figaro, 06/11/2009; version complète)




L’Etoile brille à Genève


L’Etoile d’Emmanuel Chabrier (1877) est une pure merveille. Opéra bouffe atypique et cinoque, au livret quasi pataphysique, il digère d’étrange façon Offenbach et Wagner, ouvrant la voie à une certaine idée de la musique française. Malgré un tel pedigree, l’œuvre reste méconnue et c’est toujours un plaisir que de la voir et l’entendre.
Pour son retour sur scène après des années de silence, Jérôme Savary se montre égal à lui-même, avec les qualités et défauts qu’on lui connaît. Malgré tout soucieux de servir une œuvre moins rebattue que La Belle Hélène ou La Chauve Souris, il a particulièrement soigné sa mise en scène, et l’on est loin de ses « débordements » de l’Opéra-Comique. Certes, comme un gamin impénitent, il n’a pu se retenir de mettre çà et là son habituelle quincaillerie clownesque (femmes dénudées, travestis en tutu, dialogues modernisés avec des bonheurs divers, comédien greffé à l’intrigue et pas toujours utile). Mais disons que si l’humour almanach Vermot fonctionne une fois sur deux (hilarant clin d’œil à la grippe A ; douteuse allusion à Roman Polanski) l’ensemble se tient fort bien et cela reste du « très bon Savary ».
Le metteur en scène est en cela très aidé par les décors et costumes d’Ezio Toffolutti. Superbes et inventifs, ils filent la métaphore du jeu et du rêve d’enfant : cartes à jouer, fléchettes, automates, peluches, poupées, c’est un vrai carnaval qui défile sur scène, imposant aux chanteurs de gros maquillages. Témoin : Jean-Paul Fouchécourt, qui interprète le désopilant rôle d’Ouf 1er, se voit tout enrobé d’un corps de bibendum. Comme toujours excellent, le ténor français se montre vocalement impeccable et scéniquement très juste, car il parvient à tirer de l’émotion des personnages les plus bouffons (on connaît son Platée). Il domine une distribution bien chantante et au français parfait, où l’on mentionnera la jolie Laoula de Sophie Graf, l’Aloes de Blandine Staskiewicz et le tapioca de Fabrice Farina. A l’inverse, le Lazuli de Marie-Claude Chappuis paraît en retrait. Bonne comédienne, la mezzo fribourgeoise ne semble pas toujours à son aise, (mais c’était la première).
Dans la fosse, Jean-Yves Ossonce dirige l’orchestre de la Suisse Romande en vrai connaisseur de la musique française. Sa battue raffinée, élégante, s’applique à mettre en valeur les audaces de cette partition toujours inventive, afin que le public en goûte chaque inflexion. Ce parti pris ouvertement musical fait un astucieux contrepoint avec les folies en scène, quitte à parfois ralentir les tempi et le rythme de la scénographie. Mais cette démarche permet maintenir un bel équilibre entre la bouffonnerie du propos et l’orfèvrerie d’une musique en tous points admirables.

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