lundi 23 novembre 2009

"La" Bartoli dans ses oeuvres (Figaro, 23/11/09)




Au Théâtre des Champs-Élysées, la mezzo italienne a donné deux étourdissants récitals d'airs pour castrats.

Le star-system, ça peut agacer. Pour ses deux récitals parisiens, Cecilia Bartoli a fait salle archicomble. Dès la sortie du métro Alma, les mélomanes mendiaient le moindre strapontin, fût-il aveugle. Quant aux chanceux ayant billet en poche, ils se congratulaient d'«en être», comme si le simple fait d'avoir pénétré le Théâtre des Champs-Élysées suffisait à leur bonheur.
Car un récital de «la» Bartoli ça ne se rate pas. Et c'est vrai…
Sitôt en scène, la mezzo romaine soufflette les agaceries et les a priori. Bien sûr, c'est une star ; bien sûr, ses concerts sont un décalque du (fort beau) CD sorti chez Decca, Sacrificium (disque d'or en trois semaines !) ; bien sûr, elle en fait des tonnes : arrivant sur scène tel un cabot de boulevard, elle arbore un costume platement théâtral et roule des yeux comme un policier de film muet. Certes, certes, certes…
Grandeur tragique
Mais peste de ces détails : Cecilia Bartoli est une artiste renversante. Preuve en est de ces concerts où elle nous fait prendre des vessies pour des lanternes. Le programme était pourtant risqué ! Composés entre 1725 et 1746, ces douze airs des petits maîtres Porpora, Vinci, Broschi ou Araia furent destinés aux castrats de l'âge d'or. Retrouvés par Bartoli elle-même, qui adore fouiner dans les bibliothèques, ces bluettes plutôt banales sont littéralement transfigurées par leur interprète. Les castrats chantaient-ils ainsi ? On s'en moque. L'essentiel est ce que Bartoli en fait : et c'est souvent saisissant. Aux airs de bravoures inévitablement pyrotechniques (qu'elle chante avec toujours autant de sûreté, de fougue et d'humour ; vocalisant avec des grimaces d'orthophoniste) on préférera les lamentos.
Ainsi l'air Parto, ti lascio o cara, extrait du Germanico in Germania de Nicolo Porpora. Sans aucun jeu de manche et avec une musicalité exemplaire, Bartoli touche ici à la vraie grandeur tragique. C'est qu'elle s'investit, c'est qu'elle vit chaque air comme s'il était le dernier. D'aucuns lui reprocheront de s'économiser, de ne jamais forcer, de ne plus se frotter à l'opéra et préférer les récitals : tant mieux, elle est faite pour durer. Cecilia Bartoli est une chanteuse intelligente : ça tranche !

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