lundi 21 septembre 2009

Exit Gérard Mortier (Figaro, 21/09/2009)


Du Mortier sous la grisaille

De septembre 2004 à juillet 2009, le flamand Gérard Mortier fut le très controversé directeur de l’Opéra National de Paris. Durant sa dernière « saison », une équipe d’Arte a joué les surmulots pour suivre la vie quotidienne de la première scène lyrique française, en hantant les couloirs de Bastille et de Garnier.
Riche idée, se dit-on, tant le projet semble alléchant. Le règne de Mortier a laissé une empreinte forte, passionnante et parfois douloureuse dans la mémoire du public français. Polémiques et cabales ont jalonné le parcours parisien d’un homme qui utilisait admirablement les médias, tout en condamnant la critique. Chacun de « ses » spectacles sous-tendait un message et proposait une idéologie. Mortier se comparait lui-même à un homme politique montant à la tribune pour défendre les causes d’un opéra qu’il rêvait « vivant ». Il ne craignait pas de sacrifier les œuvres au profit de relectures souvent originales, mais parfois crapoteuses.
A l’heure où Nicolas Joël reprend les rennes de « la grand boutique », observer de l’intérieur les derniers feux du roi Mortier était donc aussi curieux qu’intrigant.
Las, le documentaire réalisé par Richard Copans est un laborieux pensum qui, faute d’architecture et de parti-pris, propose une molle errance dans les couloirs de l’opéra. Ici, la part belle est faite à la musique ; mais les extraits de répétitions de Parsifal, de Wozzeck et des Noces de Figaro sont bien platement filmés. Verbiages du metteur en scène Krzysztof Warlikowski, sabir du chef de chœur Winfried Maczewski, bougonneries filandreuses du chef Sylvain Cambreling (« Paris a toujours été un quart de siècle en retard sur le reste du monde » ): on n’apprend rien. Etrange paradoxe : le grand absent de ce documentaire reste Gerard Mortier lui-même, dont les interviews au compte-goutte sont trop rares pour qu’il y expose pleinement sa contestable mais passionnante philosophie artistique. Celle-ci est donc réduite à sa plus simple expression, et le téléspectateur doit lui-même tisser les liens d’une promenade, que la quasi absence de voix-off rend tristement erratique. Seule lueur dans la grisaille : la visite d’une chanteuse de l’Atelier d’Art Lyrique dans un lycée de Créteil. Curieusement, c’est quand la démagogie est la plus risquée que le charme s’opère. Le plan de cette élève écoutant, en classe, l’air de Barbarina dans Les Noces est une petite merveille. Car on y lit enfin ce bonheur insondable que peut provoquer la musique. A cet instant précis, on comprend quelle notion est la grande absente de la « politique Mortieriste » et de ce documentaire. Un concept tout simple, tout bête, mais qui –lui- n’a cessé de fédérer les foules et d’abaisser les armes : le plaisir. Quand l’art n’est que réflexion, il éveille les consciences mais risque de conduire au désamour et à l’ennui. Dont acte. Et si ce documentaire se veut le testament des années Mortier, il n’en chante que le morne requiem.

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