vendredi 25 septembre 2009

Banquet antique à Rome (Classica, octobre 2009)








Opéra gastronomique

L’opéra, dit-on, fut inventé par quelques riches intellectuels mantouans, qui entendaient retrouver cette pureté grecque de l’équilibre entre la parole et les mots. C’était donc une recréation de la culture antique à la lumière des fastes de la Renaissance Italienne. Cette relecture, Emmanuel Giraud l’a mitonnée à sa façon (la métaphore est choisie) en se replongeant dans les textes de la Rome impériale pour nous offrir un des spectacles les plus extravagants qui fût, et dont la démesure, la tenue scénique, les impostures à tiroirs, les canulars en branche et la dimension orgiaque ne peuvent s’apparenter qu’à l’opéra.
Pensionnaire à la villa Médicis à la section « arts culinaires », Giraud a décidé de « refaire » le célèbre banquet de Trimalchion dans le Satiricon de Pétrone. Pour cela, il a demandé à douze invités qui ne se connaissaient pas entre eux, de jouer le jeu, la nuit du 5 au 6 septembre 2009, de 23 h à 6 h 49 du matin. La seule contrainte était d’être vêtu de blanc, puis de se laisser porter…
Après avoir endossé une toge rouge, s’être couvert d’un loup et fait masser les pieds, les invités ont suivi dans les jardins de la villa un parcours qui tenait à la fois du train fantôme et du marathon gastronomique, avec pour leitmotiv musical des pièces pour cor solo que le compositeur Yann Robin avait spécialement concoctées.
A travers quatorze stations, nous avons pu dîner allongés autour d’une piscine où un boucher en costume d’Adam tranchait des volailles ; manger du homard au boudin dans des têtes de cochon d’argile ; déguster du lièvre au chocolat, du bœuf aux oursins, du sanglier aux dattes ; tremper de la joue de veau dans une huître en gelée ou encore picorer des sashimis sur le corps d’une femme nue… Mais tout cela ne serait qu’un simple et savant balthazar, sans la présence baroque d’un amphitryon nommé Fabien Michalon. Présenté aux convives comme le mécène du repas, cet homme dodu drapé dans une toge récupérée du Couronnement de Poppée de Strosser, jouait le rôle de Trimalchion. Fat, bavard, dégueulant d’autosatisfaction, brillant et lourdingue, farceur et épuisant, il incarnait tout l’ambigüité de cette performance qui était –c’est le principe même de la recréation- entre le pastiche et l’hommage, le canular et l’œuvre d’art. Le doute n’a cessé de planer sur l’identité de ce personnage mêlant Falstaff, Monsieur Jourdain et Madame Verdurin. Cet homme au verbe épuisant se disait industriel, descendant d’une famille de clown et dans le secret des puissants, mais on le croirait volontiers spécialiste d’opéra baroque, romancier total façon Thomas Pynchon et ancien pensionnaire de la villa. Il reste même la plus indigeste et géniale création de ce grandiose opéra de table, où, comme au théâtre, tout n’était qu’illusion.

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