lundi 28 septembre 2009

Les Brigands à Bordeaux par les Deschamps/ Makeieff (Le Figaro 28/09/2009)


Créé en décembre 1869, Les Brigands est l'un des derniers opéras-bouffes composés par Offenbach avant la chute du Second Empire. S'il est moins souvent monté que La Belle Hélène ou La Périchole, c'est sans doute qu'il est plus un hommage amusé aux opéras-comiques louis-philippards qu'une œuvre parodique. Attention, si le livret n'a pas l'acidité de La Grande-Duchesse de Gérolstein, cette histoire de joyeux bandits exerçant leurs forfaits à la frontière de l'Espagne et de l'Italie (sic) est des plus réjouissantes. Il y a même ici un non-sense plus subtil que dans les grands pastiches tel Orphée aux enfers.
Ce non-sense, Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff l'avaient parfaitement exploité en montant ce spectacle à l'Opéra Bastille, en 1993. Seize ans plus tard, leur production n'a pas pris une ride et reste l'une des meilleures incursions du couple théâtral dans le domaine lyrique. Le rythme sans temps morts de cet opéra-bouffe leur permet de mitonner un véritable délire scénique, truffé de gags visuels : foultitude d'animaux vivants ou empaillés ; poulets morts dansant le french cancan… Toutefois, le sens comique ne vient jamais estomper la partition, servie ici par une distribution remarquablement homogène. Dans le rôle de Falsacappa, potache chef des brigands, le ténor Éric Huchet prête son assurance vocale, son abattage et sa carrure de docker.
Du côté des femmes, la jeune et jolie soprano Daphné Touchais est une Fiorella bien chantante et un poil « oie blanche ». Mention spéciale doit être surtout faite des deux émissaires étrangers : le Campo Tasso de Francis Dudziak et le Gloria Cassis de Philippe Talbot sont tout bonnement hilarants. Enfin, Emmanuel Joel-Hornak mène l'Orchestre national Bordeaux Aquitaine tambour battant, et l'on salive de voir ce spectacle sur la scène de l'Opéra-Comique en 2011.

vendredi 25 septembre 2009

Banquet antique à Rome (Classica, octobre 2009)








Opéra gastronomique

L’opéra, dit-on, fut inventé par quelques riches intellectuels mantouans, qui entendaient retrouver cette pureté grecque de l’équilibre entre la parole et les mots. C’était donc une recréation de la culture antique à la lumière des fastes de la Renaissance Italienne. Cette relecture, Emmanuel Giraud l’a mitonnée à sa façon (la métaphore est choisie) en se replongeant dans les textes de la Rome impériale pour nous offrir un des spectacles les plus extravagants qui fût, et dont la démesure, la tenue scénique, les impostures à tiroirs, les canulars en branche et la dimension orgiaque ne peuvent s’apparenter qu’à l’opéra.
Pensionnaire à la villa Médicis à la section « arts culinaires », Giraud a décidé de « refaire » le célèbre banquet de Trimalchion dans le Satiricon de Pétrone. Pour cela, il a demandé à douze invités qui ne se connaissaient pas entre eux, de jouer le jeu, la nuit du 5 au 6 septembre 2009, de 23 h à 6 h 49 du matin. La seule contrainte était d’être vêtu de blanc, puis de se laisser porter…
Après avoir endossé une toge rouge, s’être couvert d’un loup et fait masser les pieds, les invités ont suivi dans les jardins de la villa un parcours qui tenait à la fois du train fantôme et du marathon gastronomique, avec pour leitmotiv musical des pièces pour cor solo que le compositeur Yann Robin avait spécialement concoctées.
A travers quatorze stations, nous avons pu dîner allongés autour d’une piscine où un boucher en costume d’Adam tranchait des volailles ; manger du homard au boudin dans des têtes de cochon d’argile ; déguster du lièvre au chocolat, du bœuf aux oursins, du sanglier aux dattes ; tremper de la joue de veau dans une huître en gelée ou encore picorer des sashimis sur le corps d’une femme nue… Mais tout cela ne serait qu’un simple et savant balthazar, sans la présence baroque d’un amphitryon nommé Fabien Michalon. Présenté aux convives comme le mécène du repas, cet homme dodu drapé dans une toge récupérée du Couronnement de Poppée de Strosser, jouait le rôle de Trimalchion. Fat, bavard, dégueulant d’autosatisfaction, brillant et lourdingue, farceur et épuisant, il incarnait tout l’ambigüité de cette performance qui était –c’est le principe même de la recréation- entre le pastiche et l’hommage, le canular et l’œuvre d’art. Le doute n’a cessé de planer sur l’identité de ce personnage mêlant Falstaff, Monsieur Jourdain et Madame Verdurin. Cet homme au verbe épuisant se disait industriel, descendant d’une famille de clown et dans le secret des puissants, mais on le croirait volontiers spécialiste d’opéra baroque, romancier total façon Thomas Pynchon et ancien pensionnaire de la villa. Il reste même la plus indigeste et géniale création de ce grandiose opéra de table, où, comme au théâtre, tout n’était qu’illusion.

J'ai encore des fans sur France Musique!!














Neuf mois après mon éviction par le cerbère de la foi chrétienne Marc-Olivier Dupin, je garde des supporters nostalgiques. ça fait chaud au coeur!

Envoi sur le forum du site de B. Duteurtre :
Horreur et putréfaction : NEO viré
Naguère, parmi les chroniqueurs réguliers de l’émission « Etonnez-moi Benoît », figurait Nicolas d’Estienne d’Orves dit NEO. Il y apportait tout un pan du patrimoine français avec la chanson insolite, gaillarde, gauloise voire franchement paillarde. Sa disparition m’avait navré, mais je l’avais mise, à tort, sur le compte d’un départ sabbatique pour terminer un roman.
Le chevauchement malheureux – auquel il vient d’être mis fin – de cette émission avec celle de Philippe Meyer sur Inter m’avait empêché d’écouter la fin et guetter NEO.
Mais, bien tardivement donc, je viens de découvrir que NEO avait été viré pour avoir en décembre 2008, pour moquer gentiment les dégoulinades bondieusardes et tinorossiques de saison, passé un « Il est né le divin enfant » des plus gaillards (coupé d’ailleurs en plein vol, par vos soins, M. Duteurtre) ! Cela avait valu « des protestations véhémentes » des cagots de service et des culs-pincés. Mais, est-il besoin de le rappeler ? cette chronique avait pour tous les coincés une réputation sulfureuse qui, sauf masochisme, aurait dû les pousser à changer d’ondes ou à fermer le poste et mettre un CD des petits chanteurs à la croix de bois !
Avec neuf mois de retard, mais mieux vaut tard que jamais, je déplore cette censure et je clame haut et fort : Rendez-nous NEO !

La (belle) résurrection de l'Opéra de Versailles (Figaro, 23/09/2009)


Niché dans les arabesques du château avec une discrétion d’homme de cour, l’Opéra Royal de Versailles est de ces merveilles secrètes dont recèle notre patrimoine. Inauguré en 1770 et tout juste rénové, cet exquis écrin de bois a vécu lundi dernier une résurrection en nobles pompes.
Banc et arrière banc se sont même entassés dans ce théâtre aux tons or et amande, où rôde çà et là l’ombre décollée de Marie-Antoinette.
A l’invitation de Jean-Jacques Aillagon, l’assistance de gala était des plus choisies : François Fillon, Frédéric Mitterrand, Bernadette Chirac, Carole Bouquet, Marisa Bruni-Tedeschi… la liste est aussi longues que les cravates étaient noires (c’est quand elle singe l’ancien régime que la République sait recevoir).
Sur scène, entre deux représentations de Mireille, l’incontournable Marc Minkowski retrouvait ici ses « Musiciens du Louvre » pour rendre hommage aux gloires musicales du XVIIIe siècle versaillais. Le programme était un vaste clin d’œil à « l’Autrichienne ». Surnommée « la reine de France », la symphonie n° 85 de Haydn a trouvé sous la baguette de Minko une vision ludique et roborative, magnifiée par l’acoustique redoutablement parfaite de cette salle. Redoutable en ce qu’elle ne laisse rien passer, jusqu’aux plus infimes nuances… ce qui est une corde raide pour les chanteurs ! Dans les douces plaintes d’Iphigénie en Tauride de Gluck, la voix de Mireille Delunsch dansait péniblement sur des œufs ; plus à l’aise dans les fureurs que l’élégie, la soprano s’est rattrapée avec l’air d’Elettra d’Idoménée de Mozart. Côté mâle, le ténor Richard Croft a donné un élégant mais assez plat « J’ai perdu mon Eurydice » d’Orphée de Gluck. Il était certes difficile de rivaliser avec l’autorité, la tenue vocale et la merveilleuse intelligence musicale du baryton Bryn Terfel. En trois airs (dont l’air du catalogue de Don Giovanni et un extrait des Noces), Mozart était dans la salle. Toutefois Le vrai roi de la piste restait Minkowski lui-même. Dirigeant l’improbable ballet de Gluck Don Juan ou le festin de Pierre –lequel culmine par une danse des furies réutilisée dans Orphée- le chef en commentait au public l’argument, l’œil piquant et matois.
Enfin, la soirée s’est achevée par un dîner dans la Galerie des glaces et un éclatant feu d’artifices sur les pièces d’eau.
L’Autrichienne eut biché.

lundi 21 septembre 2009

Exit Gérard Mortier (Figaro, 21/09/2009)


Du Mortier sous la grisaille

De septembre 2004 à juillet 2009, le flamand Gérard Mortier fut le très controversé directeur de l’Opéra National de Paris. Durant sa dernière « saison », une équipe d’Arte a joué les surmulots pour suivre la vie quotidienne de la première scène lyrique française, en hantant les couloirs de Bastille et de Garnier.
Riche idée, se dit-on, tant le projet semble alléchant. Le règne de Mortier a laissé une empreinte forte, passionnante et parfois douloureuse dans la mémoire du public français. Polémiques et cabales ont jalonné le parcours parisien d’un homme qui utilisait admirablement les médias, tout en condamnant la critique. Chacun de « ses » spectacles sous-tendait un message et proposait une idéologie. Mortier se comparait lui-même à un homme politique montant à la tribune pour défendre les causes d’un opéra qu’il rêvait « vivant ». Il ne craignait pas de sacrifier les œuvres au profit de relectures souvent originales, mais parfois crapoteuses.
A l’heure où Nicolas Joël reprend les rennes de « la grand boutique », observer de l’intérieur les derniers feux du roi Mortier était donc aussi curieux qu’intrigant.
Las, le documentaire réalisé par Richard Copans est un laborieux pensum qui, faute d’architecture et de parti-pris, propose une molle errance dans les couloirs de l’opéra. Ici, la part belle est faite à la musique ; mais les extraits de répétitions de Parsifal, de Wozzeck et des Noces de Figaro sont bien platement filmés. Verbiages du metteur en scène Krzysztof Warlikowski, sabir du chef de chœur Winfried Maczewski, bougonneries filandreuses du chef Sylvain Cambreling (« Paris a toujours été un quart de siècle en retard sur le reste du monde » ): on n’apprend rien. Etrange paradoxe : le grand absent de ce documentaire reste Gerard Mortier lui-même, dont les interviews au compte-goutte sont trop rares pour qu’il y expose pleinement sa contestable mais passionnante philosophie artistique. Celle-ci est donc réduite à sa plus simple expression, et le téléspectateur doit lui-même tisser les liens d’une promenade, que la quasi absence de voix-off rend tristement erratique. Seule lueur dans la grisaille : la visite d’une chanteuse de l’Atelier d’Art Lyrique dans un lycée de Créteil. Curieusement, c’est quand la démagogie est la plus risquée que le charme s’opère. Le plan de cette élève écoutant, en classe, l’air de Barbarina dans Les Noces est une petite merveille. Car on y lit enfin ce bonheur insondable que peut provoquer la musique. A cet instant précis, on comprend quelle notion est la grande absente de la « politique Mortieriste » et de ce documentaire. Un concept tout simple, tout bête, mais qui –lui- n’a cessé de fédérer les foules et d’abaisser les armes : le plaisir. Quand l’art n’est que réflexion, il éveille les consciences mais risque de conduire au désamour et à l’ennui. Dont acte. Et si ce documentaire se veut le testament des années Mortier, il n’en chante que le morne requiem.

jeudi 10 septembre 2009

Simon Boccanegra à Genève (Figaro 11/09/2009)


Opéra de la période médiane de Giuseppe Verdi (1857), Simon Boccanegra a fait l’objet d’une relecture en profondeur vingt quatre ans plus tard. Le compositeur tenait tant à cette pièce qu’il demanda à son dernier librettiste, Arrigo Boito, d’en améliorer le livret, tandis qu’il en révisait la partition. Remonté en 1881, Boccanegra reste donc une des œuvres les plus intimes de son auteur. Tragédie politico-familiale à l’intrigue globalement incompréhensible (sur fond de conflit Guelfe-Gibelin, un ancien corsaire devient Doge de Vienne et se découvre une fille naturelle), elle est un œuvre atypique dans le parcours verdien, car le musicien y tourne souvent le dos à ce qui fait son charme et sa popularité. Ici, peu de mélodies enjôleuses et nul air de bravoure. Celui qui a su si bien chanter le cœur féminin a même composé un opéra d’hommes, où dominent les « clefs de fa » : pour un ténor, on a deux barytons et deux basses. Bref, une œuvre austère et qui demande plusieurs écoutes pour révéler ses trésors.
Cette austérité, le metteur en scène José Luis Gomez l’a bien comprise, quitte à parfois s’y noyer. Epaulée des décors minéraux de Carl Fillion et des sombres costumes d’Alejandro Andujar, sa vision refuse ouvertement les émotions et les débordements latins.
Paradoxalement, ce parti-pris fait la part belle aux chanteurs, qui n’ont pas à s’embarrasser de gestes superflus. Et c’est tant mieux, car la distribution réunie par le nouveau directeur Tobias Richter, pour son premier spectacle à la tête du grand Théâtre, est de superbe tenue. Si le ténor sicilien Roberto De Biasio semble peiner dans le difficile rôle de Gabriele Adorno (émission et justesse souvent hasardeuses), les « clefs de fa » sont une merveille. Citons avant tout le superbe Fiesco de Giacomo Prestia et le magnifique Paolo de Franco Pomponi. Quant à Roberto Frontali, il confère à Boccanegra une noblesse blessée souvent bouleversante. La distribution est toutefois dominée par la soprano bulgare Krassimira Stoyanova. Son Amélia tendre, sensible et enflammée rappelle combien ce rôle est parmi les plus émouvants de Verdi. Enfin, le chef turinois Evelino Pido illumine de sa fougue coutumière les sombres tourments de cette tragédie génoise.

Grand Théâtre de Genève, jusqu’au 24 septembre.
Res : +44 22 418 31 30